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premier, fit changer en bienveillance cette antipathie que la nation espagnole nourrissait contre la française depuis Ferdinand le Catholique ; et sa prudence prépara les temps où la France et l’Espagne ont renoué les anciens nœuds qui les avaient unies avant ce Ferdinand, de couronne à couronne, de peuple à peuple, et d’homme à homme. Il accoutuma la cour espagnole à aimer la maison de France ; ses ministres, à ne plus s’effrayer des renonciations de Marie-Thérèse et d’Anne d’Autriche ; et Charles II lui-même, à balancer entre sa propre maison et celle de Bourbon. Il fut ainsi le premier mobile de la plus grande révolution dans le gouvernement et dans les esprits. Cependant ce changement était encore éloigné[1].

L’empereur priait, menaçait. Le roi de France représentait ses droits, mais sans oser jamais demander pour un de ses petits-fils la succession entière. Il ne s’occupait qu’à flatter le malade. Les Maures assiégeaient Ceuta. Aussitôt le marquis d’Harcourt offre des vaisseaux et des troupes à Charles, qui en fut sensiblement touché ; mais la reine, sa femme, en fut effrayée : elle craignit que son mari n’eût trop de reconnaissance, et refusa sèchement ce secours.

On ne savait encore quel parti prendre dans le conseil de Madrid, et Charles II approchait du tombeau, plus incertain que jamais. L’empereur Léopold, piqué, rappela son ambassadeur, le comte de Harrach ; mais bientôt après il le renvoya à Madrid, et les espérances en faveur de la maison d’Autriche se rétablirent. Le roi d’Espagne écrivit à l’empereur qu’il choisirait l’archiduc pour son successeur. Alors le roi de France, menaçant à son tour, assembla une armée vers les frontières d’Espagne ; et ce même marquis d’Harcourt fut rappelé de son ambassade pour commander cette armée. Il ne resta à Madrid qu’un officier d’infanterie qui avait servi de secrétaire d’ambassade, et qui fut chargé des affaires, comme le dit le marquis de Torcy. Ainsi le roi moribond, menacé tour à tour par ceux qui prétendaient à sa succession,

    moribond. Enfin les Mémoires de Torcy démontrent qu’il n’y a pas un mot de vrai dans tout ce que Reboulet, Limiers, et les autres historiens, ont dit de cette grande affaire. (Note de Voltaire.)

  1. Il y avait toujours un parti français à la cour d’Espagne. Les chefs de ce parti imaginèrent de faire accroire au roi qu’il était ensorcelé, et l’on envoya consulter en conséquence le plus habile sorcier qu’il y eût alors dans toute l’Espagne. Le sorcier répondit comme on le désirait, mais il eut la maladresse de compromettre dans sa réponse des personnes très-considérables ; ce qui fournit à la reine, contre qui cette intrigue était dirigée, et qui n’osait s’en plaindre, un prétexte pour perdre le sorcier et ses protecteurs. (Mémoires de Saint-Philippe.) (K.)