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Les jugements rendus par les chambres de Brisach[1] et de Metz contre tant de souverains, et les réunions faites à l’Alsace, monuments d’une puissance et d’une fierté dangereuse, furent abolis ; et les bailliages juridiquement saisis furent rendus à leurs maîtres légitimes.

Outre ces désistements, on restitua à l’empire Fribourg, Brisach, Kehl, Philipsbourg. On se soumit à raser les forteresses de Strasbourg sur le Rhin, le Fort-Louis, Trarbach, le Mont-Royal : ouvrages où Vauban avait épuisé son art, et le roi ses finances. On fut surpris dans l’Europe, et mécontent en France, que Louis XIV eût fait la paix comme s’il eût été vaincu. Harlai, Crécy, et Callières, qui avaient signé cette paix, n’osaient se montrer, ni à la cour, ni à la ville ; on les accablait de reproches et de ridicules, comme s’ils avaient fait un seul pas qui n’eût été ordonné par le ministère. La cour de Louis XIV leur reprochait d’avoir trahi l’honneur de la France, et depuis on les loua d’avoir préparé, par ce traité, la succession à la monarchie espagnole ; mais ils ne méritèrent ni les critiques ni les louanges.

Ce fut enfin par cette paix que la France rendit la Lorraine à la maison qui la possédait depuis sept cents années. Le duc Charles V, appui de l’empire et vainqueur des Turcs, était mort. Son fils Léopold prit, à la paix de Rysvick, possession de sa souveraineté ; dépouillé à la vérité de ses droits réels, car il n’était pas permis au duc d’avoir des remparts à sa capitale ; mais on ne put lui ôter un droit plus beau, celui de faire du bien à ses sujets : droit dont jamais aucun prince n’a si bien usé que lui.

Il est à souhaiter que la dernière postérité apprenne qu’un des moins grands souverains de l’Europe a été celui qui a fait le plus de bien à son peuple. Il trouva la Lorraine désolée et déserte : il la repeupla, il l’enrichit. Il l’a conservée toujours en paix, pendant que le reste de l’Europe a été ravagé par la guerre. Il a eu la prudence d’être toujours bien avec la France, et d’être aimé dans l’empire ; tenant heureusement ce juste milieu qu’un prince sans pouvoir n’a presque jamais pu garder entre deux grandes puissances. Il a procuré à ses peuples l’abondance, qu’ils ne connaissaient plus. Sa noblesse, réduite à la dernière misère, a été mise dans l’opulence par ses seuls bienfaits. Voyait-il la maison

  1. Giannone, si célèbre par son utile Histoire de Naples, dit que ces tribunaux étaient établis à Tournai. Il se trompe souvent sur toutes les affaires qui ne sont pas celles de son pays. Il dit, par exemple, qu’à Nimègue Louis XIV fit la paix avec la Suède. Au contraire, la Suède était son alliée. (Note de Voltaire.)