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du moins elle n’avait été, du côté des alliés, que le dessein vague d’abaisser la grandeur de Louis XIV ; et, dans ce monarque, que la suite de cette même grandeur qui n’avait pas voulu plier. Le roi Guillaume avait entraîné dans sa cause l’empereur, l’empire, l’Espagne, les Provinces-Unies, la Savoie. Louis XIV s’était vu trop engagé pour reculer. La plus belle partie de l’Europe avait été ravagée parce que le roi de France avait usé avec trop de hauteur de ses avantages après la paix de Nimègue. C’était contre sa personne qu’on s’était ligué plutôt que contre la France. Le roi croyait avoir mis en sûreté la gloire que donnent les armes ; il voulut avoir celle de la modération ; et l’épuisement qui se faisait sentir dans les finances ne lui rendit pas cette modération difficile.

Les affaires politiques se traitaient dans le conseil : les résolutions s’y prenaient. Le marquis de Torcy, encore jeune, n’était chargé que de l’exécution. Tout le conseil voulait la paix. Le duc de Beauvilliers surtout y représentait avec force la misère des peuples : Mme  de Maintenon en était touchée ; le roi n’y était pas insensible. Cette misère faisait d’autant plus d’impression qu’on tombait de cet état florissant où le ministre Colbert avait mis le royaume. Les grands établissements en tout genre avaient prodigieusement coûté, et l’économie ne réparait pas le dérangement de ces dépenses forcées. Ce mal intérieur étonnait, parce qu’on ne l’avait jamais senti depuis que Louis XIV gouvernait par lui-même. Voilà les causes de la paix de Rysvick[1]. Des sentiments vertueux y influèrent certainement. Ceux qui pensent que les rois et leurs ministres sacrifient sans cesse et sans mesure à l’ambition ne se trompent pas moins que celui qui penserait qu’ils sacrifient toujours au bonheur du monde.

Le roi rendit donc à la branche autrichienne d’Espagne tout ce qu’il lui avait pris vers les Pyrénées, et ce qu’il venait de lui prendre en Flandre dans cette dernière guerre : Luxembourg, Mons, Ath, Courtrai. Il reconnut pour roi légitime d’Angleterre le roi Guillaume, traité jusqu’alors de prince d’Orange, d’usurpateur, et de tyran. Il promit de ne donner aucun secours à ses ennemis. Le roi Jacques, dont le nom fut omis dans le traité, resta dans Saint-Germain, avec le nom inutile de roi, et des pensions de Louis XIV. Il ne fit plus que des manifestes, sacrifié par son protecteur à la nécessité, et déjà oublié de l’Europe.

  1. Paix précipitée par le seul motif de soulager le royaume. Mémoires de Torcy, tome Ier page 50, première édition. (Note de Voltaire.)