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prit Barcelone (août 1697). Ces nouveaux efforts et ces nouveaux succès furent la médiation la plus efficace. La cour de Rome offrit encore son arbitrage, et fut refusée comme à Nimègue. Le roi de Suède Charles XI fut le médiateur. (Septembre, octobre 1697) Enfin la paix se fit, non plus avec cette hauteur et ces conditions avantageuses qui avaient signalé la grandeur de Louis XIV, mais avec une facilité et un relâchement de ses droits qui étonnèrent également les Français et les alliés. On a cru longtemps que cette paix avait été préparée par la plus profonde politique.

On prétendait que le grand projet du roi de France était et devait être de ne pas laisser tomber toute la succession de la vaste monarchie espagnole dans l’autre branche de la maison d’Autriche. Il espérait, disait-on, que la maison de Bourbon en arracherait au moins quelque démembrement, et que peut-être un jour elle l’aurait tout entière. Les renonciations authentiques de la femme et de la mère de Louis XIV ne paraissaient que de vaines signatures, que des conjonctures nouvelles devaient anéantir. Dans ce dessein, qui agrandissait ou la France ou la maison de Bourbon, il était nécessaire de montrer quelque modération à l’Europe, pour ne pas effaroucher tant de puissances toujours soupçonneuses. La paix donnait le temps de se faire de nouveaux alliés, de rétablir les finances, de gagner ceux dont on aurait besoin, et de laisser former dans l’État de nouvelles milices. Il fallait céder quelque chose dans l’espérance d’obtenir beaucoup plus.

On pense que c’étaient là les motifs secrets de cette paix de Rysvick, qui en effet procura par l’événement le trône d’Espagne au petit-fils de Louis XIV. Cette idée, si vraisemblable, n’est pas vraie ; ni Louis XIV ni son conseil n’eurent ces vues, qui semblaient devoir se présenter à eux. C’est un grand exemple de cet enchaînement des révolutions de ce monde, qui entraînent les hommes par lesquels elles semblent conduites. L’intérêt visible de posséder bientôt l’Espagne, ou une partie de cette monarchie, n’influa en rien dans la paix de Rysvick. Le marquis de Torcy en fait l’aveu dans ses Mémoires[1] manuscrits. On fit la paix par lassitude de la guerre, et cette guerre avait été presque sans objet :

  1. Ces Mémoires de Torcy ont été imprimés depuis, et confirment combien l’auteur du Siècle de Louis XIV était instruit de tout ce qu’il avance. (Note de Voltaire.). — Les Mémoires de Torcy ont été, comme on l’a vu page 55, publiés en 1756. La note de Voltaire est de 1761 ; son texte est de 1752. (B.)