Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/338

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sembla mettre un terme à la suite rapide des victoires de la France.

L’art de bombarder les villes maritimes avec des vaisseaux retomba alors sur ses inventeurs. Ce n’est pas que la machine infernale avec laquelle les Anglais voulurent brûler Saint-Malo, et qui échoua sans faire d’effet, dût son origine à l’industrie des Français. Il y avait déjà longtemps qu’on avait hasardé de pareilles machines en Europe. C’était l’art de faire partir les bombes aussi juste d’une assiette mouvante que d’un terrain solide, que les Français avaient inventé[1], et ce fut par cet art que Dieppe, le Havre-de-Grâce, Saint-Malo, Dunkerque, et Calais, furent bombardés par les flottes anglaises. (Juillet 1694 et 1695) Dieppe, dont on peut approcher plus facilement, fut la seule qui souffrit un véritable dommage. Cette ville, agréable aujourd’hui par ses maisons régulières, et qui doit ses embellissements à son malheur, fut presque toute réduite en cendres. Vingt maisons seulement au Havre-de-Grâce furent écrasées et brûlées par les bombes ; mais les fortifications du port furent renversées. C’est en ce sens que la médaille frappée en Hollande est vraie, quoique tant d’auteurs français se soient récriés sur sa fausseté. On lit dans l’exergue en latin : Le port du Havre brûlé et renversé, etc. Cette inscription ne dit pas que la ville fut consumée, ce qui eût été faux ; mais qu’on avait brûlé le port, ce qui était vrai.

Quelque temps après, la conquête de Namur fut perdue. On avait, en France, prodigué[2] des éloges à Louis XIV pour l’avoir prise, et des railleries et des satires indécentes contre le roi Guillaume pour ne l’avoir pu secourir avec une armée de quatre-vingt mille hommes. Guillaume s’en rendit maître de la même manière qu’il l’avait vu prendre. Il l’attaqua aux yeux d’une armée encore plus forte que n’avait été la sienne, quand Louis XIV l’assiégea. Il y trouva de nouvelles fortifications que Vauban avait faites. La garnison française qui la défendit était une armée, car dans le temps qu’il en forma l’investissement, le maréchal de Boufflers se jeta dans la place avec sept régiments de dragons. Ainsi Namur était défendue par seize mille hommes, et prête à tout moment d’être secourue par près de cent mille.

Le maréchal de Boufflers était un homme de beaucoup de mérite, un général actif et appliqué, un bon citoyen, ne songeant

  1. Voyez chapitre xiv, page 286.
  2. Voyez l’Ode de Boileau, et le Fragment historique de Racine. L’expérience, dit Racine, avait fait connaître au prince d’Orange combien il était inutile de s’opposer à un dessein que le roi conduisait lui-même. (Note de Voltaire.)