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Guillaume ; et quand les Anglais furent vaincus, il fallut que le reste cédât.

Boufflers, depuis maréchal de France, accourait dans ce moment même de quelques lieues du champ de bataille avec des dragons, et acheva la victoire.

Le roi Guillaume, ayant perdu environ sept mille hommes, se retira avec autant d’ordre qu’il avait attaqué, et, toujours vaincu mais toujours à craindre, il tint encore la campagne. La victoire, due à la valeur de tous ces jeunes princes et de la plus florissante noblesse du royaume, fit à la cour, à Paris, et dans les provinces, un effet qu’aucune bataille gagnée n’avait fait encore.

Monsieur le Duc, le prince de Conti, MM. de Vendôme et leurs amis, trouvaient, en s’en retournant, les chemins bordés de peuple. Les acclamations et la joie allaient jusqu’à la démence. Toutes les femmes s’empressaient d’attirer leurs regards. Les hommes portaient alors des cravates de dentelle, qu’on arrangeait avec assez de peine et de temps. Les princes s’étant habillés avec précipitation pour le combat, avaient passé négligemment ces cravates autour du cou : les fournies portèrent des ornements faits sur ce modèle ; on les appela des Steinkerques. Toutes les bijouteries nouvelles étaient à la Steinkerque. Un jeune homme qui s’était trouvé à cette bataille était regardé avec empressement. Le peuple, s’attroupait partout autour des princes, et on les aimait d’autant plus que leur faveur à la cour n’était pas égale à leur gloire.

Ce fut à cette bataille qu’on perdit le jeune prince de Turenne, neveu du héros tué en Allemagne : il donnait déjà des espérances d’égaler son oncle. Ses grâces et son esprit l’avaient rendu cher à la ville, à la cour, et à l’armée.

Le général, en rendant compte au roi de cette bataille mémorable, ne daigna pas seulement l’instruire qu’il était malade quand il fut attaqué.

Le même général, avec ces mêmes princes et ces mêmes troupes surprises et victorieuses à Steinkerque, alla surprendre, la campagne suivante, le roi Guillaume par une marche de sept lieues, et l’atteignit à Nervinde. Nervinde est un village près de la Guette, à quelques lieues de Bruxelles. Guillaume eut le temps de se retrancher pendant la nuit, et de se mettre en bataille. On l’attaque à la pointe du jour (29 juillet 1693) ; on le trouve à la tête du régiment de Ruvigny, tout composé de gentilshommes français que la fatale révocation de l’édit de Nantes et les dragonnades avaient forcés de quitter et de haïr leur patrie. Ils se vengeaient sur elle des intrigues du jésuite La Chaise et des cruautés