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petite ville nommée Galloway, fit pendre quelques citoyens qui avaient été d’avis de lui fermer les portes[1]. De deux hommes qui se conduisaient ainsi, il était bien aisé de voir qui devait l’emporter.

Il restait à Jacques quelques villes en Irlande, entre autres Limerick, où il y avait plus de douze mille soldats. Le roi de France, soutenant toujours la fortune de Jacques, fit passer encore trois mille hommes de troupes réglées dans Limerick. Pour surcroît de libéralité, il envoya tout ce qui peut servir aux besoins d’un grand peuple et à ceux des soldats. Quarante vaisseaux de transport, escortés de douze vaisseaux de guerre, apportèrent tous les secours possibles en hommes, en ustensiles, en équipages ; des ingénieurs, des canonniers, des bombardiers, deux cents maçons ; des selles, des brides, des housses pour plus de vingt mille chevaux ; des canons avec leurs affûts, des fusils, des pistolets, des épées pour armer vingt-six mille hommes ; des vivres, des habits, et jusqu’à vingt-six mille paires de souliers. Limerick assiégée, mais munie de tant de secours, espérait de voir son roi combattre pour sa défense. Jacques ne vint point. Limerick se rendit : les vaisseaux français retournèrent encore vers les côtes d’Irlande, et ramenèrent en France environ vingt mille Irlandais, tant soldats que citoyens fugitifs.

Ce qu’il y a peut-être de plus étonnant, c’est que Louis XIV ne se rebuta pas. Il soutenait alors une guerre difficile contre presque toute l’Europe. Cependant il tenta encore de changer la fortune de Jacques par une entreprise décisive, et de faire une descente en Angleterre avec vingt mille hommes. Il comptait sur le parti que Jacques avait conservé en Angleterre. Les troupes étaient assemblées entre Cherbourg et la Hogue. Plus de trois cents navires de transport étaient prêts à Brest. Tourville, avec quarante-quatre grands vaisseaux de guerre, les attendait aux côtes de Normandie. D’Estrées arrivait du port de Toulon avec trente autres vaisseaux. S’il y a des malheurs causés par la mauvaise conduite, il en est qu’on ne peut imputer qu’à la fortune. Le vent, d’abord favorable à l’escadre de d’Estrées, changea ; il ne put joindre Tourville, dont les quarante-quatre vaisseaux furent attaqués par les flottes d’Angleterre et de Hollande, fortes de près de cent voiles. La supériorité du nombre l’emporta. Les Français cédèrent

  1. On nie ce fait dans les Mémoires de Berwick, et Dalrymple n’en parle point. On peut voir, dans ce dernier historien, les détails de la conduite de Guillaume, qui fut politique et dur, beaucoup plus que généreux. (K.)