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le peuple à faire des illuminations. On sonna les cloches. On brûla dans plusieurs quartiers des figures d’osier qui représentaient le prince d’Orange, comme on brûle le pape dans Londres. On tira le canon de la Bastille, non point par ordre du roi, mais par le zèle inconsidéré d’un commandant. On croirait, sur ces marques d’allégresse et sur la foi de tant d’écrivains, que cette joie effrénée, à la mort prétendue d’un ennemi, était l’effet de la crainte extrême qu’il inspirait. Tous ceux qui ont écrit, et Français et étrangers, ont dit que ces réjouissances étaient le plus grand éloge du roi Guillaume. Cependant, si on veut faire attention aux circonstances du temps et à l’esprit qui régnait alors, on verra bien que la crainte ne produisit pas ces transports de joie. Les bourgeois et le peuple ne savent guère craindre un ennemi que quand il menace leur ville. Loin d’avoir de la terreur au nom de Guillaume, le commun des Français avait alors l’injustice de le mépriser. Il avait presque toujours été battu par les généraux français. Le vulgaire ignorait combien ce prince avait acquis de véritable gloire, même dans ses défaites. Guillaume, vainqueur de Jacques en Irlande, ne paraissait pas encore aux yeux des Français un ennemi digne de Louis XIV. Paris, idolâtre de son roi, le croyait réellement invincible. Les réjouissances ne furent donc point le fruit de la crainte, mais de la haine. La plupart des Parisiens, nés sous le règne de Louis, et façonnés au joug despotique, regardaient alors un roi comme une divinité, et un usurpateur comme un sacrilège. Le petit peuple, qui avait vu Jacques aller tous les jours à la messe, détestait Guillaume hérétique. L’image d’un gendre et d’une fille ayant chassé leur père, d’un protestant régnant à la place d’un catholique, enfin d’un ennemi de Louis XIV, transportait les Parisiens d’une espèce de fureur ; mais les gens sages pensaient modérément.

Jacques revint en France, laissant son rival gagner en Irlande de nouvelles batailles, et s’affermir sur le trône. Les flottes françaises furent occupées alors à ramener les Français, qui avaient inutilement combattu, et les familles irlandaises catholiques qui, étant très-pauvres dans leur patrie, voulurent aller subsister en France des libéralités du roi.

Il est à croire que la fortune eut peu de part à toute cette révolution depuis son commencement jusqu’à sa fin. Les caractères de Guillaume et de Jacques firent tout. Ceux qui aiment à voir dans la conduite des hommes les causes des événements remarqueront que le roi Guillaume, après sa victoire, fit publier un pardon général ; et que le roi Jacques, vaincu, en passant par une