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quinades. Enfin, dans toute cette révolution, sa religion lui rendit si peu de services que, lorsque le prince d’Orange, le chef du calvinisme, avait mis à la voile pour aller détrôner le roi son beau-père, le ministre du roi catholique à la Haye avait fait dire des messes pour l’heureux succès de ce voyage.

Au milieu des humiliations de ce roi fugitif, et des libéralités de Louis XIV envers lui, c’était un spectacle digne de quelque attention de voir Jacques toucher les écrouelles[1] au petit couvent des Anglaises ; soit que les rois anglais se soient attribué ce singulier privilège, comme prétendants à la couronne de la France, soit que cette cérémonie soit établie chez eux depuis le temps du premier Édouard.

Le roi le fit bientôt conduire en Irlande, où les catholiques formaient encore un parti qui paraissait considérable. Une escadre de treize vaisseaux du premier rang était à la rade de Brest pour le transport. Tous les officiers, les courtisans, les prêtres même, qui étaient venus trouver Jacques à Saint-Germain, furent défrayés jusqu’à Brest aux dépens du roi de France. Le jésuite Innès, recteur du collège des Écossais à Paris, était son secrétaire d’État. Un ambassadeur (c’était M. Davaux) était nommé auprès du roi détrôné, et le suivit avec pompe. Des armes, des munitions de toute espèce, furent embarquées sur la flotte ; on y porta jusqu’aux meubles les plus vils et jusqu’aux plus recherchés. Le roi lui alla dire adieu à Saint-Germain. Là, pour dernier présent, il lui donna sa cuirasse, et lui dit en l’embrassant : « Tout ce que je peux vous souhaiter de mieux est de ne nous jamais revoir. » (12 mai 1689) À peine le roi Jacques était-il débarqué en Irlande avec cet appareil que vingt-trois autres grands vaisseaux de guerre, sous les ordres de Château-Renaud, et une infinité de navires de transport, le suivirent. Cette flotte, ayant mis en fuite et dispersé la flotte anglaise qui s’opposait à son passage, débarqua heureusement, et, ayant pris dans son retour sept vaisseaux marchands hollandais, revint à Brest, victorieuse de l’Angleterre, et chargée des dépouilles de la Hollande.

(Mars 1690) Bientôt après un troisième secours partit encore de Brest, de Toulon, de Rochefort. Les ports d’Irlande et la mer de la Manche étaient couverts de vaisseaux français.

Enfin Tourville, vice-amiral de France, avec soixante et douze

  1. Sur les écrouelles, voyez tome XI, page 365 ; l’article Écrouelles dans le Dictionnaire philosophique, et, dans la Correspondance, la lettre de Frédéric II, du 27 juillet 1775.