Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/297

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

loger, et c’était beaucoup ; mais quelques mousquetaires noirs, ayant pénétré par un petit sentier jusqu’au retranchement intérieur qui était dans cette fortification, ils s’en rendent d’abord les maîtres. Dans le même temps, les mousquetaires gris y abordent par un autre endroit. Les bataillons des gardes les suivent, on tue et on poursuit les assiégés ; les mousquetaires baissent le pont-levis qui joint cet ouvrage aux autres : ils suivent l’ennemi de retranchement en retranchement, sur le petit bras de l’Escaut et sur le grand. Les gardes s’avancent en foule. Les mousquetaires sont déjà dans la ville, avant que le roi sache que le premier ouvrage attaqué est emporté.

Ce n’était pas encore ce qu’il y eut de plus étrange dans cette action. Il était vraisemblable que de jeunes mousquetaires, emportés par l’ardeur du succès, se jetteraient aveuglément sur les troupes et sur les bourgeois qui venaient à eux dans la rue ; qu’ils y périraient, ou que la ville allait être pillée ; mais ces jeunes gens, conduits par un cornette nommé Moissac, se mirent en bataille derrière des charrettes, et, tandis que les troupes qui venaient se formaient sans précipitation, d’autres mousquetaires s’emparaient des maisons voisines, pour protéger par le feu ceux qui étaient dans la rue ; on donnait des otages de part et d’autre, le conseil de ville s’assemblait ; on députait vers le roi : tout cela se faisait sans qu’il y eût rien de pillé, sans confusion, sans faire de fautes d’aucune espèce. Le roi fit la garnison prisonnière de guerre, et entra dans Valenciennes, étonné d’en être le maître. La singularité de l’action a engagé à entrer dans ce détail.

(9 mars 1678) Il eut encore la gloire de prendre Gand[1] en quatre jours, et Ypres en sept (25 mars). Voilà ce qu’il fit par lui-même. Ses succès furent encore plus grands par ses généraux.

(Septembre 1676). Du côté de l’Allemagne, le maréchal duc de Luxembourg laissa d’abord, à la vérité, prendre Philipsbourg à sa vue, essayant en vain de la secourir avec une armée de cinquante mille hommes. Le général qui prit Philipsbourg était Charles V, nouveau duc de Lorraine, héritier de son oncle Charles IV, et dépouillé comme lui de ses États. Il avait toutes les qualités de son malheureux oncle, sans en avoir les défauts. Il commanda longtemps les armées de l’empire avec gloire ; mais, malgré la prise de Philipsbourg, et quoiqu’il fût à la tête de soixante mille combattants, il ne put jamais rentrer dans ses États.

  1. L’Art de vérifier les dates dit que la ville de Gand fut prise le 9 mars, et que la citadelle capitula le 12.