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bouillant que la fatigue épuise bientôt. Mastricht se rendit au bout de huit jours (29 juin 1673).

Pour mieux affermir encore la discipline militaire, il usa d’une sévérité qui parut même trop grande. Le prince d’Orange, qui n’avait eu pour opposer à ces conquêtes rapides que des officiers sans émulation et des soldats sans courage, les avait formés à force de rigueurs, en faisant passer par la main du bourreau ceux qui avaient abandonné leur poste. Le roi employa aussi les châtiments la première fois qu’il perdit une place. Un très-brave officier, nommé Du-Pas, rendit Naerden au prince d’Orange (14 septembre 1673). Il ne tint à la vérité que quatre jours ; mais il ne remit sa ville qu’après un combat de cinq heures, donné sur de mauvais ouvrages, et pour éviter un assaut général, qu’une garnison faible et rebutée n’aurait point soutenu. Le roi, irrité du premier affront que recevaient ses armes, fit condamner Du-Pas[1] à être traîné dans Utrecht, une pelle à la main ; et son épée fut rompue : ignominie inutile pour les officiers français, qui sont assez sensibles à la gloire pour qu’on ne les gouverne point par la crainte de la honte. Il faut savoir qu’à la vérité les provisions des commandants des places les obligent à soutenir trois assauts ; mais ce sont de ces lois qui ne sont jamais exécutées[2]. Du-Pas se fit tuer, un an après, au siège de la petite ville de Grave, où il servit volontaire. Son courage et sa mort durent laisser des regrets au marquis de Louvois, qui l’avait fait punir si durement. La puissance souveraine peut maltraiter un brave homme, mais non pas le déshonorer.

Les soins du roi, le génie de Vauban, la vigilance sévère de Louvois, l’expérience et le grand art de Turenne, l’active intrépidité du prince de Condé ; tout cela ne put réparer la faute qu’on avait faite de garder trop de places, d’affaiblir l’armée, et de manquer Amsterdam.

  1. La Beaumelle dit qu’il fut condamné à une prison perpétuelle. Comment cela pourrait-il être, puisque l’année suivante il fut tué au siège de Grave ? (Note de Voltaire.)
  2. Cet usage, qui n’a point été réformé, est ancien, et n’a pu avoir pour origine qu’un enthousiasme exagéré de valeur, et une grande indifférence pour le sort des malheureux bourgeois, qu’il dévouait à toutes les horreurs du pillage. Mais depuis que l’art des sièges s’est perfectionné, et qu’on a la précaution de détruire toutes les défenses d’une place avant d’y donner l’assaut, cette condition imposée aux gouverneurs n’est plus regardée que comme une chose de forme ; et, de nos jours, un officier qui, prenant une ville d’assaut, la livrerait au pillage, serait aussi déshonoré qu’il l’aurait été dans le siècle dernier pour avoir refusé de servir de second dans un duel. (K.)