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Au lieu de trente vaisseaux qu’on avait joints, l’année auparavant, à la flotte anglaise, on en joignit quarante, sans compter les brûlots. Les officiers avaient appris les manœuvres savantes des Anglais, avec lesquels ils avaient combattu celles des Hollandais, leurs ennemis. C’était le duc d’York, depuis Jacques II, qui avait inventé l’art de faire entendre les ordres sur mer par les mouvements divers des pavillons. Avant ce temps les Français ne savaient pas ranger une armée navale en bataille. Leur expérience consistait à faire battre un vaisseau contre un vaisseau, non à en faire mouvoir plusieurs de concert, et à imiter sur la mer les évolutions des armées de terre, dont les corps séparés se soutiennent et se secourent mutuellement. Ils firent à peu près comme les Romains, qui en une année apprirent des Carthaginois l’art de combattre sur mer, et égalèrent leurs maîtres.

Le vice-amiral d’Estrées et son lieutenant Martel firent honneur à l’industrie militaire de la nation française, dans trois batailles navales consécutives, au mois de juin (les 7, 14 et 21 juin 1673), entre la flotte hollandaise et celle de France et d’Angleterre. L’amiral Ruyter fut plus admiré que jamais dans ces trois actions. D’Estrées écrivit à Colbert : « Je voudrais avoir payé de ma vie la gloire que Ruyter vient d’acquérir. » D’Estrées méritait que Ruyter eût ainsi parlé de lui. La valeur et la conduite furent si égales de tous côtés que la victoire resta toujours indécise.

Louis, ayant fait des hommes de mer de ses Français par les soins de Colbert, perfectionna encore l’art de la guerre sur terre par l’industrie de Vauban. Il vint en personne assiéger Mastricht dans le même temps que ces trois batailles navales se donnaient. Mastricht était pour lui une clef des Pays-Bas et des Provinces-Unies ; c’était une place forte défendue par un gouverneur intrépide, nommé Fariaux, né Français, qui avait passé au service d’Espagne, et depuis à celui de Hollande. La garnison était de cinq mille hommes. Vauban, qui conduisit ce siège, se servit, pour la première fois, des parallèles inventées par des ingénieurs italiens au service des Turcs devant Candie[1]. Il y ajouta les places d’armes que l’on fait dans les tranchées pour y mettre les troupes en bataille, et pour les mieux rallier en cas de sorties. Louis se montra, dans ce siège, plus exact et plus laborieux qu’il ne l’avait été encore. Il accoutumait, par son exemple, à la patience dans le travail sa nation accusée jusqu’alors de n’avoir qu’un courage

  1. Voyez page 246.