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duite attirait l’admiration des peuples, et augmentait la crainte de sa puissance.

Le roi était à la tête de sa maison et de ses plus belles troupes, qui composaient trente mille hommes : Turenne les commandait sous lui. Le prince de Condé avait une armée aussi forte. Les autres corps, conduits tantôt par Luxembourg, tantôt par Chamilly, faisaient dans l’occasion des armées séparées, ou se rejoignaient selon le besoin. On commença par assiéger à la fois quatre villes, dont le nom ne mérite de place dans l’histoire que par cet événement : Rhinberg, Orsoy, Vésel, Burick. Elles furent prises presque aussitôt qu’elles furent investies. Celle de Rhinberg, que le roi voulut assiéger en personne, n’essuya pas un coup de canon ; et, pour assurer encore mieux sa prise, on eut soin de corrompre le lieutenant de la place, Irlandais de nation, nommé Dossery, qui eut la lâcheté de se vendre, et l’imprudence de se retirer ensuite à Mastricht, où le prince d’Orange le fit punir de mort.

Toutes les places qui bordent le Rhin et l’Issel se rendirent. Quelques gouverneurs envoyèrent leurs clefs, dès qu’ils virent seulement passer de loin un ou deux escadrons français ; plusieurs officiers s’enfuirent des villes où ils étaient en garnison, avant que l’ennemi fût dans leur territoire ; la consternation était générale. Le prince d’Orange n’avait point encore assez de troupes pour paraître en campagne. Toute la Hollande s’attendait à passer sous le joug, dès que le roi serait au-delà du Rhin. Le prince d’Orange fit faire à la hâte des lignes au-delà de ce fleuve, et après les avoir faites, il connut l’impuissance de les garder. Il ne s’agissait plus que de savoir en quel endroit les Français voudraient faire un pont de bateaux, et de s’opposer, si on pouvait, à ce passage. En effet l’intention du roi était de passer le fleuve sur un pont de ces petits bateaux inventés par Martinet. Des gens du pays informèrent alors le prince de Condé que la sécheresse de la saison avait formé un gué sur un bras du Rhin, auprès d’une vieille tourelle qui sert de bureau de péage, qu’on nomme Tollhuys, la maison du péage, dans laquelle il y avait dix-sept soldats. Le roi fit sonder ce gué par le comte de Guiche. Il n’y avait qu’environ vingt pas à nager au milieu de ce bras du fleuve, selon ce que dit dans ses lettres Pellisson, témoin oculaire, et ce que m’ont confirmé les habitants. Cet espace n’était rien, parce que plusieurs chevaux de front rompaient le fil de l’eau très-peu rapide. L’abord était aisé : il n’y avait de l’autre côté de l’eau que quatre à cinq cents cavaliers, et deux faibles régiments d’infanterie sans canon.