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sans son parlement. Cette liaison secrète entre les deux rois ne fut confiée en France qu’à Madame, sœur de Charles II et épouse de Monsieur, frère unique du roi, à Turenne, et à Louvois.

(Mai 1670) Une princesse de vingt-six ans fut le plénipotentiaire qui devait consommer ce traité avec le roi Charles. On prit pour prétexte du passage de Madame en Angleterre un voyage que le roi voulut faire dans ses conquêtes nouvelles vers Dunkerque et vers Lille. La pompe et la grandeur des anciens rois de l’Asie n’approchaient pas de l’éclat de ce voyage. Trente mille hommes précédèrent ou suivirent la marche du roi ; les uns destinés à renforcer les garnisons des pays conquis, les autres à travailler aux fortifications, quelques-uns à aplanir les chemins. Le roi menait avec lui la reine sa femme, toutes les princesses, et les plus belles femmes de sa cour. Madame brillait au milieu d’elles, et goûtait dans le fond de son cœur le plaisir et la gloire de tout cet appareil, qui couvrait son voyage. Ce fut une fête continuelle depuis Saint-Germain jusqu’à Lille.

Le roi, qui voulait gagner les cœurs de ses nouveaux sujets, et éblouir ses voisins, répandait partout ses libéralités avec profusion ; l’or et les pierreries étaient prodigués à quiconque avait le moindre prétexte pour lui parler. La princesse Henriette s’embarqua à Calais, pour voir son frère qui s’était avancé jusqu’à Cantorbéry. Charles, séduit par son amitié pour sa sœur et par l’argent de la France, signa tout ce que Louis XIV voulait, et prépara la ruine de la Hollande au milieu des plaisirs et des fêtes.

La perte de Madame, morte à son retour d’une manière soudaine et affreuse, jeta des soupçons injustes sur Monsieur[1] et ne changea rien aux résolutions des deux rois[2]. Les dépouilles de

  1. Voyez les Anecdotes du Siècle de Louis XIV, chapitre xxvi. (K.)
  2. On trouve des anecdotes curieuses sur toutes ces négociations dans les pièces justificatives des Mémoires de la Grande-Bretagne et de l’Irlande, par le chevalier Dalrymple. On y voit comment l’argent de Louis XIV gouverna l’Angleterre depuis 1669 jusqu’en 1677 ; comment il servait à déterminer Charles II à se convertir, et puis à l’engager à différer sa conversion, et qu’il était le contre-poids des autres intérêts qui conduisaient ce roi et ses ministres. Ces détails de corruption sont honteux, mais il est utile que les peuples les connaissent, et que les princes apprennent que ces mystères de la politique sont toujours révélés. Au reste, ces Mémoires prouvent qu’à cette époque Louis XIV avait beaucoup plus de politique que de zèle pour la religion. Après avoir acheté la nation anglaise de Charles II, Louis XIV, peu satisfait de lui, se lia avec les mécontents, et leur fournit également de l’argent contre Charles et contre ce même Jacques, qu’il protégea depuis avec tant d’opiniâtreté. Dalrymple a imprimé la liste de ces pensionnaires du roi de France, avec les sommes données à chacun. On y trouve le nom d’Algernon