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l’Angleterre, que Louis XIV n’était pas même encore marié par procureur.

(Août 1660) Enfin le cardinal Mazarin ramena le roi et la nouvelle reine à Paris. Un père qui aurait marié son fils sans lui donner l’administration de son bien n’en eût pas usé autrement que Mazarin ; il revint plus puissant et plus jaloux de sa puissance, et même des honneurs, que jamais. Il exigea et il obtint que le parlement vint le haranguer par députés. C’était une chose sans exemple dans la monarchie ; mais ce n’était pas une trop grande réparation du mal que le parlement lui avait fait. Il ne donna plus la main aux princes du sang, en lieu tiers, comme autrefois. Celui qui avait traité don Louis de Haro en égal voulut traiter le grand Condé en inférieur. Il marchait alors avec un faste royal, ayant, outre ses gardes, une compagnie de mousquetaires qui est aujourd’hui la seconde compagnie des mousquetaires du roi[1]. On n’eut plus auprès de lui un accès libre : si quelqu’un était assez mauvais courtisan pour demander une grâce au roi, il était perdu. La reine mère, si longtemps protectrice obstinée de Mazarin contre la France, resta sans crédit dès qu’il n’eut plus besoin d’elle. Le roi, son fils, élevé dans une soumission aveugle pour ce ministre, ne pouvait secouer le joug qu’elle lui avait imposé, aussi bien qu’à elle-même ; elle respectait son ouvrage, et Louis XIV n’osait pas encore régner du vivant de Mazarin.

Un ministre est excusable du mal qu’il fait lorsque le gouvernail de l’État est forcé dans sa main par les tempêtes ; mais dans le calme il est coupable de tout le bien qu’il ne fait pas. Mazarin ne fit de bien qu’à lui, et à sa famille par rapport à lui. Huit années de puissance absolue et tranquille, depuis son dernier retour jusqu’à sa mort, ne furent marquées par aucun établissement glorieux ou utile : car le collège des Quatre-Nations ne fut que l’effet de son testament.

Il gouvernait les finances comme l’intendant d’un seigneur obéré. Le roi demandait quelquefois de l’argent à Fouquet, qui lui répondait : « Sire, il n’y a rien dans les coffres de Votre Majesté ; mais monsieur le cardinal vous en prêtera. » Mazarin était riche d’environ deux cents millions, à compter comme on fait aujourd’hui. Plusieurs mémoires disent qu’il en amassa une partie par des moyens trop au-dessous de la grandeur de sa place. Ils

  1. Les compagnies de mousquetaires de la maison du roi ont été supprimées par Saint-Germain, ministre de la guerre, de 1775 à 1777. Elles ont eu quelques mois d’existence en 1814 et 1815. (B.)