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crimes de son père. » Cependant ce Richard vécut heureux, et son père n’avait jamais connu le bonheur[1].

Quelque temps auparavant la France vit un autre exemple bien plus mémorable du mépris d’une couronne. Christine, reine de Suède, vint à Paris. On admira en elle une jeune reine qui, à vingt-sept ans, avait renoncé à la souveraineté dont elle était digne pour vivre libre et tranquille. Il est honteux aux écrivains protestants d’avoir osé dire, sans la moindre preuve, qu’elle ne quitta sa couronne que parce qu’elle ne pouvait plus la garder[2]. Elle avait formé ce dessein dès l’âge de vingt ans, et l’avait laissé mûrir sept années. Cette résolution, si supérieure aux idées vulgaires et si longtemps méditée, devait fermer la bouche à ceux qui lui reprochaient de la légèreté et une abdication involontaire. L’un de ces deux reproches détruisait l’autre ; mais il faut toujours que ce qui est grand soit attaqué par les petits esprits.

Pour connaître le génie unique de cette reine, on n’a qu’à lire ses lettres. Elle dit dans celle qu’elle écrivit à Chanut, autrefois ambassadeur de France auprès d’elle : « J’ai possédé sans faste, je quitte avec facilité. Après cela ne craignez pas pour moi ; mon bien n’est pas au pouvoir de la fortune. » Elle écrivit au prince de Condé : « Je me tiens autant honorée par votre estime que par la couronne que j’ai portée. Si, après l’avoir quittée, vous m’en jugez moins digne, j’avouerai que le repos que j’ai tant souhaité me coûte cher ; mais je ne me repentirai pourtant point de l’avoir acheté au prix d’une couronne, et je ne noircirai jamais une action qui m’a semblé si belle par un lâche repentir ; et s’il arrive que vous condamniez cette action, je vous dirai pour toute excuse que je n’aurais pas quitté les biens que la fortune m’a donnés si je les eusse crus nécessaires à ma félicité, et que j’aurais prétendu à l’empire du monde si j’eusse été aussi assurée d’y réussir ou de mourir que le serait le grand Condé. »

Telle était l’âme de cette personne si singulière ; tel était son style dans notre langue, qu’elle avait parlée rarement. Elle savait huit langues : elle avait été disciple et amie de Descartes, qui mourut à Stockholm, dans son palais, après n’avoir pu obtenir seulement une pension en France, où ses ouvrages furent même proscrits pour les seules bonnes choses qui y fussent. Elle avait

  1. Voyez l’article Cromwell, dans le Dictionnaire philosophique.
  2. Ce que disent là les écrivains protestants est vrai. Christine abdiqua en face du mécontentement général. (G. A.) — Voyez la Correspondance de Grimm, tome IV, pages 496 et suiv., édition Garnier frères.