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se tint dans Calais. Ce fut là que Cromwell lui envoya une ambassade fastueuse, à la tête de laquelle était son gendre, le lord Falconbridge. Le roi lui envoya le duc de Créquy, et Mancini, duc de Nevers, neveu du cardinal, suivis de deux cents gentilshommes. Mancini présenta au protecteur une lettre du cardinal. Cette lettre est remarquable ; Mazarin lui dit « qu’il est affligé de ne pouvoir lui rendre en personne les respects dus au plus grand homme du monde ». C’est ainsi qu’il parlait à l’assassin du gendre de Henri IV, et de l’oncle de Louis XIV, son maître.

Cependant le prince maréchal de Turenne attaqua l’armée d’Espagne, ou plutôt l’armée de Flandre, près des Dunes. Elle était commandée par don Juan d’Autriche, fils de Philippe IV et d’une comédienne[1], et qui devint deux ans après beau-frère de Louis XIV. Le prince de Condé était dans cette armée, mais il ne commandait pas : ainsi, il ne fut pas difficile à Turenne de vaincre. Les six mille Anglais contribuèrent à la victoire, elle fut complète (14 juin 1656). Les deux princes d’Angleterre, qui furent depuis rois[2], virent leurs malheurs augmentés dans cette journée par l’ascendant de Cromwell.

Le génie du grand Condé ne put rien contre les meilleures troupes de France et d’Angleterre. L’armée espagnole fut détruite. Dunkerque se rendit bientôt après. Le roi accourut avec son ministre pour voir passer la garnison. Le cardinal ne laissa paraître Louis XIV ni comme guerrier ni comme roi ; il n’avait point d’argent à distribuer aux soldats ; à peine était-il servi : il allait manger chez Mazarin ou chez le maréchal de Turenne, quand il était à l’armée. Cet oubli de la dignité royale n’était pas dans Louis XIV l’effet du mépris pour le faste, mais celui du dérangement de ses affaires, et du soin que le cardinal avait de réunir pour soi-même la splendeur et l’autorité.

Louis n’entra dans Dunkerque que pour la rendre au lord Lockhart, ambassadeur de Cromwell. Mazarin essaya si par quelque finesse il pourrait éluder le traité, et ne pas remettre la place ; mais Lockhart menaça, et la fermeté anglaise l’emporta sur l’habileté italienne.

Plusieurs personnes ont assuré que le cardinal, qui s’était attribué l’événement d’Arras, voulut engager Turenne à lui céder encore l’honneur de la bataille des Dunes. Du Bec-Crépin, comte

  1. Nommée Calderona.
  2. Sous les noms de Charles II et Jacques II.