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son favori, enhardit un peuple qui respirait la guerre, et qui haïssait les rois ; et Louis XIV, ou plutôt la reine mère, en renvoyant le cardinal, ôta tout prétexte de révolte à un peuple las de la guerre, et qui aimait la royauté.

(20 octobre 1652) Le cardinal à peine parti pour aller à Bouillon, lieu de sa nouvelle retraite, les citoyens de Paris, de leur seul mouvement, députèrent au roi pour le supplier de revenir dans sa capitale. Il y rentra, et tout y fut si paisible qu’il eût été difficile d’imaginer que quelques jours auparavant tout avait été dans la confusion. Gaston d’Orléans, malheureux dans ses entreprises, qu’il ne sut jamais soutenir, fut relégué à Blois, où il passa le reste de sa vie dans le repentir ; et il fut le deuxième fils de Henri le Grand qui mourut sans beaucoup de gloire. Le cardinal de Retz, aussi imprudent qu’audacieux, fut arrêté dans le Louvre, et, après avoir été conduit de prison en prison, il mena longtemps une vie errante, qu’il finit enfin dans la retraite, où il acquit des vertus que son grand courage n’avait pu connaître dans les agitations de sa fortune.

Quelques conseillers[1] qui avaient le plus abusé de leur ministère payèrent leurs démarches par l’exil ; les autres se renfermèrent dans les bornes de la magistrature, et quelques-uns s’attachèrent à leur devoir par une gratification annuelle de cinq cents écus, que Fouquet, procureur général et surintendant des finances, leur fit donner sous main[2].

Le prince de Condé cependant, abandonné en France de presque tous ses partisans, et mal secouru des Espagnols, continuait sur les frontières de la Champagne une guerre malheureuse. Il restait encore des factions dans Bordeaux, mais elles furent bientôt apaisées.

Ce calme du royaume était l’effet du bannissement du cardinal Mazarin ; cependant, à peine fut-il chassé par le cri général des Français et par une déclaration du roi que le roi le fit revenir (3 février 1653). Il fut étonné de rentrer dans Paris tout-puissant et tranquille. Louis XIV le reçut comme un père, et le peuple comme un maître. On lui fit un festin à l’hôtel de ville, au milieu des acclamations des citoyens : il jeta de l’argent à la populace ; mais on dit que, dans la joie d’un si heureux changement, il marqua du mépris pour l’inconstance, ou plutôt pour la folie des Parisiens. Les officiers du parlement, après avoir mis sa tête

  1. Voyez l’Histoire du Parlement, chapitre lvii.
  2. Mémoires de Gourville. (Note de Voltaire.)