Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/219

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

troupes du roi, relâché avec indulgence, et moqué de tous les partis.

(6 août 1652) Cependant le roi, majeur, interdit le parlement de Paris, et le transfère à Pontoise. Quatorze membres attachés à la cour obéissent, les autres résistent. Voilà deux parlements qui, pour mettre le comble à la confusion, se foudroient par des arrêts réciproques, comme du temps de Henri IV et de Charles VI.

Précisément dans le temps que cette compagnie s’abandonnait à ces extrémités contre le ministre du roi, elle déclarait criminel de lèse-majesté le prince de Condé, qui n’était armé que contre ce ministre ; et, par un renversement d’esprit que toutes les démarches précédentes rendent croyable, elle ordonna que les nouvelles troupes de Gaston, duc d’Orléans, marcheraient contre Mazarin ; et elle défendit en même temps qu’on prît aucuns deniers dans les recettes publiques pour les soudoyer.

On ne pouvait attendre autre chose d’une compagnie de magistrats, qui, jetée hors de sa sphère et ne connaissant ni ses droits, ni son pouvoir réel, ni les affaires politiques, ni la guerre, s’assemblant et décidant en tumulte, prenait des partis auxquels elle n’avait pas pensé le jour auparavant, et dont elle-même s’étonnait ensuite.

Le parlement de Bordeaux servait alors le prince de Condé ; mais il tint une conduite un peu plus uniforme, parce qu’étant plus éloigné de la cour il était moins agité par des factions opposées. Des objets plus considérables intéressaient toute la France.

Condé, ligué avec les Espagnols, était en campagne contre le roi ; et Turenne, ayant quitté ces mêmes Espagnols, avec lesquels il avait été battu à Rethel, venait de faire sa paix avec la cour, et commandait l’armée royale. L’épuisement des finances ne permettait ni à l’un ni à l’autre des deux partis d’avoir de grandes armées ; mais de petites ne décidaient pas moins du sort de l’État. Il y a des temps où cent mille hommes en campagne peuvent à peine prendre deux villes ; il y en a d’autres où une bataille entre sept ou huit mille hommes peut renverser un trône ou l’affermir.

Louis XIV, élevé dans l’adversité, allait avec sa mère, son frère, et le cardinal Mazarin, de province en province, n’ayant pas autant de troupes autour de sa personne, à beaucoup près, qu’il en eut depuis en temps de paix pour sa seule garde. Cinq à six mille hommes, les uns envoyés d’Espagne, les autres levés par les partisans du prince de Condé, le poursuivaient au cœur de son royaume.

Le prince de Condé courait cependant de Bordeaux à Montauban, prenait des villes, et grossissait partout son parti.