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Beaufort, le duc de Bouillon, animés par l’esprit remuant du coadjuteur, et avides de nouveautés, se flattant d’élever leur grandeur sur les ruines de l’État, et de faire servir à leurs desseins particuliers les mouvements aveugles du parlement, vinrent lui offrir leurs services. On nomma, dans la grand’chambre, les généraux d’une armée qu’on n’avait pas. Chacun se taxa pour lever des troupes : il y avait vingt conseillers pourvus de charges nouvelles, créées par le cardinal de Richelieu. Leurs confrères, par une petitesse d’esprit dont toute société est susceptible, semblaient poursuivre sur eux la mémoire de Richelieu ; ils les accablaient de dégoûts, et ne les regardaient pas comme membres du parlement : il fallut qu’ils donnassent chacun quinze mille livres pour les frais de la guerre, et pour acheter la tolérance de leurs confrères.

La grand’chambre, les enquêtes, les requêtes, la chambre des comptes, la cour des aides, qui avaient tant crié contre des impôts faibles et nécessaires, et surtout contre l’augmentation du tarif, laquelle n’allait qu’à deux cent mille livres, fournirent une somme de près de dix millions de notre monnaie d’aujourd’hui, pour la subversion de la patrie. On rendit un arrêt par lequel il fut ordonné de se saisir de tout l’argent des partisans de la cour. On en prit pour douze cent mille de nos livres. On leva douze mille hommes par arrêt du parlement (15 février 1649) : chaque porte cochère fournit un homme et un cheval. Cette cavalerie fut appelée la cavalerie des portes cochères. Le coadjuteur avait un régiment à lui, qu’on nommait le régiment de Corinthe, parce que le coadjuteur était archevêque titulaire de Corinthe.

Sans les noms de roi de France, de grand Condé, de capitale du royaume, cette guerre de la Fronde eût été aussi ridicule que celle des Barberins ; on ne savait pourquoi on était en armes. Le prince de Condé assiégea cent mille bourgeois avec huit mille soldats. Les Parisiens sortaient en campagne, ornés de plumes et de rubans ; leurs évolutions étaient le sujet de plaisanterie des gens du métier. Ils fuyaient dès qu’ils rencontraient deux cents hommes de l’armée royale. Tout se tournait en raillerie ; le régiment de Corinthe ayant été battu par un petit parti, on appela cet échec la première aux Corinthiens.

Ces vingt conseillers, qui avaient fourni chacun quinze mille livres, n’eurent d’autre honneur que d’être appelés les quinze-vingts[1].

  1. Voyez Histoire du Parlement, chapitre lvi.