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l’avait pu, à ses souverains ; et dans cette minorité de Louis XIV, sous le plus doux des gouvernements, et sous la plus indulgente des reines, il voulait faire la guerre civile à son prince, à l’exemple de ce parlement d’Angleterre qui tenait alors son roi prisonnier, et qui lui fit trancher la tête. Tels étaient les discours et les pensées du cabinet.

Mais les citoyens de Paris, et tout ce qui tenait à la robe, voyaient dans le parlement un corps auguste, qui avait rendu la justice avec une intégrité respectable, qui n’aimait que le bien de l’État, et qui l’aimait au péril de sa fortune, qui bornait son ambition à la gloire de réprimer l’ambition des favoris, et qui marchait d’un pas égal entre le roi et le peuple ; et, sans examiner l’origine de ses droits et de son pouvoir, on lui supposait les droits les plus sacrés, et le pouvoir le plus incontestable : quand on le voyait soutenir la cause du peuple contre les ministres détestés, on l’appelait le père de l’État, et on faisait peu de différence entre le droit qui donne la couronne aux rois, et celui qui donnait au parlement le pouvoir de modérer les volontés des rois.

Entre ces deux extrémités, un milieu juste était impossible à trouver, car enfin il n’y avait de loi bien reconnue que celle de l’occasion et du temps. Sous un gouvernement vigoureux le parlement n’était rien : il était tout sous un roi faible, et l’on pouvait lui appliquer ce que dit M. de Guéméné, quand cette compagnie se plaignit, sous Louis XIII, d’avoir été précédée par les députés de la noblesse : « Messieurs, vous prendrez bien votre revanche dans la minorité. »

On ne veut point répéter ici tout ce qui a été écrit sur ces troubles, et copier des livres pour remettre sous les yeux tant de détails alors si chers et si importants, et aujourd’hui presque oubliés ; mais on doit dire ce qui caractérise l’esprit de la nation, et moins ce qui appartient à toutes les guerres civiles que ce qui distingue celle de la Fronde.

Deux pouvoirs établis chez les hommes, uniquement pour le maintien de la paix, un archevêque et un parlement de Paris ayant commencé les troubles, le peuple crut tous ses emportements justifiés. La reine ne pouvait paraître en public sans être outragée, on ne l’appelait que Dame Anne ; et si l’on y ajoutait quelque titre, c’était un opprobre. Le peuple lui reprochait avec fureur de sacrifier l’État à son amitié pour Mazarin ; et, ce qu’il y avait de plus insupportable, elle entendait de tous côtés ces chansons et ces vaudevilles, monuments de plaisanterie et de malignité qui semblaient devoir éterniser le doute où l’on affectait