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magistrature de nouvelle espèce, instituée sous Louis XIII sans l’appareil des formes ordinaires ; c’était plaire à la nation autant qu’irriter la cour. Il voulait que, selon les anciennes lois, aucun citoyen ne fût mis en prison sans que ses juges naturels en connussent dans les vingt-quatre heures ; et rien ne paraissait si juste.

Le parlement fit plus ; il abolit (14 mai 1648) les intendants par un arrêt, avec ordre aux procureurs du roi de son ressort d’informer contre eux.

Ainsi la haine contre le ministre, appuyée de l’amour du bien public, menaçait la cour d’une révolution. La reine céda ; elle offrit de casser les intendants, et demanda seulement qu’on lui en laissât trois : elle fut refusée.

(20 août 1648) Pendant que ces troubles commençaient, le prince de Condé remporta la célèbre victoire de Lens, qui mettait le comble à sa gloire. Le roi, qui n’avait alors que dix ans, s’écria : Le parlement sera bien fâché. Ces paroles faisaient voir assez que la cour ne regardait alors le parlement de Paris que comme une assemblée de rebelles.

Le cardinal et ses courtisans ne lui donnaient pas un autre nom. Plus les parlementaires se plaignaient d’être traités de rebelles, plus ils faisaient de résistance.

La reine et le cardinal résolurent de faire enlever trois des plus opiniâtres magistrats du parlement : Novion Blancménil, président qu’on appelle à mortier ; Charton, président d’une chambre des enquêtes, et Broussel, ancien conseiller-clerc de la grand’chambre.

Ils n’étaient pas chefs de parti, mais les instruments des chefs. Charton, homme très-borné, était connu par le sobriquet du président Je dis ça, parce qu’il ouvrait et concluait toujours ses avis par ces mots. Broussel n’avait de recommandable que ses cheveux blancs, sa haine contre le ministère, et la réputation d’élever toujours la voix contre la cour sur quelque sujet que ce fût. Ses confrères en faisaient peu de cas, mais la populace l’idolâtrait.

Au lieu de les enlever sans éclat dans le silence de la nuit, le cardinal crut en imposer au peuple en les faisant arrêter en plein midi, tandis qu’on chantait le Te Deum à Notre-Dame pour la victoire de Lens, et que les suisses de la chambre apportaient dans l’église soixante et treize drapeaux pris sur les ennemis. Ce fut précisément ce qui causa la subversion du royaume. Charton s’esquiva ; on prit Blancménil sans peine ; il n’en fut pas de même de Broussel. Une vieille servante seule, en voyant jeter son maître