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avait dans l’esprit, à quel point il était ou prudent ou fourbe. Ainsi, sans vouloir deviner ce qu’était Mazarin, on dira seulement ce qu’il fit. Il affecta, dans les commencements de sa grandeur, autant de simplicité que Richelieu avait déployé de hauteur. Loin de prendre des gardes et de marcher avec un faste royal, il eut d’abord le train le plus modeste ; il mit de l’affabilité et même de la mollesse partout où son prédécesseur avait fait paraître une fierté inflexible. La reine voulait faire aimer sa régence et sa personne de la cour et des peuples, et elle y réussissait. Gaston, duc d’Orléans, frère de Louis XIII, et le prince de Condé, appuyaient son pouvoir, et n’avaient d’émulation que pour servir l’État.

Il fallait des impôts pour soutenir la guerre contre l’Espagne et contre l’empereur. Les finances en France étaient, depuis la mort du grand Henri IV, aussi mal administrées qu’en Espagne et en Allemagne. La régie était un chaos ; l’ignorance extrême ; le brigandage au comble ; mais ce brigandage ne s’étendait pas sur des objets aussi considérables qu’aujourd’hui. L’État était huit fois moins endetté[1] ; on n’avait point des armées de deux cent mille hommes à soudoyer, point de subsides immenses à payer, point de guerre maritime à soutenir. Les revenus de l’État montaient, dans les premières années de la régence, à près de soixante et quinze millions de livres de ce temps. C’était assez s’il y avait eu de l’économie dans le ministère ; mais en 1646 et 47 on eut besoin de nouveaux secours. Le surintendant était alors un paysan siennois, nommé Particelli Émeri, dont l’âme était plus basse que la naissance, et dont le faste et les débauches indignaient la nation[2]. Cet homme inventait des ressources onéreuses et ridicules. Il créa des charges de contrôleurs de fagots, de jurés vendeurs de foin, de conseillers du roi crieurs de vin ; il vendait des lettres de noblesse. Les rentes sur l’hôtel de ville de Paris ne se montaient alors qu’à près de onze millions. On retrancha quelques quartiers aux rentiers ; on augmenta les droits d’entrée ; on créa quelques charges de maîtres des requêtes ; on retint environ quatre-vingt mille écus de gages aux magistrats.

Il est aisé de juger combien les esprits furent soulevés contre deux Italiens, venus tous deux en France sans fortune, enrichis aux dépens de la nation, et qui donnaient tant de prise sur eux. Le parlement de Paris, les maîtres des requêtes, les autres cours,

  1. Cette évaluation a été faite avant la guerre de 1755. (K.)
  2. Voyez ci-dessus, page 25, et Histoire du Parlement chapitres liv et lv.