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Enfin le pape a conservé, dans tous les États catholiques, des prérogatives qu’assurément il n’obtiendrait pas si le temps ne les lui avait pas données. Il n’y a point de royaume dans lequel il n’y ait beaucoup de bénéfices à sa nomination ; il reçoit en tribut les revenus de la première année des bénéfices consistoriaux.

Les religieux, dont les chefs résident à Rome, sont encore autant de sujets immédiats du pape, répandus dans tous les États. La coutume, qui fait tout, et qui est cause que le monde est gouverné par des abus comme par des lois, n’a pas toujours permis aux princes de remédier entièrement à un danger qui tient d’ailleurs à des choses regardées comme sacrées. Prêter serment à un autre qu’à son souverain est un crime de lèse-majesté dans un laïque ; c’est, dans le cloître, un acte de religion. La difficulté de savoir à quel point on doit obéir à ce souverain étranger, la facilité de se laisser séduire, le plaisir de secouer un joug naturel pour en prendre un qu’on se donne soi-même, l’esprit de trouble, le malheur des temps, n’ont que trop souvent porté des ordres entiers de religieux à servir Rome contre leur patrie.

L’esprit éclairé qui règne en France depuis un siècle, et qui s’est étendu dans presque toutes les conditions, a été le meilleur remède à cet abus. Les bons livres écrits sur cette matière sont de vrais services rendus aux rois et aux peuples, et un des grands changements qui se soient faits par ce moyen dans nos mœurs sous Louis XIV, c’est la persuasion dans laquelle les religieux commencent tous à être qu’ils sont sujets du roi avant que d’être serviteurs du pape. La juridiction, cette marque essentielle de la souveraineté, est encore demeurée au pontife romain. La France même, malgré toutes ses libertés de l’Église gallicane, souffre que l’on appelle au pape en dernier ressort dans quelques causes ecclésiastiques.

Si l’on veut dissoudre un mariage, épouser sa cousine ou sa nièce, se faire relever de ses vœux, c’est encore à Rome, et non à son évêque, qu’on s’adresse ; les grâces y sont taxées[1] et les particuliers de tous les états y achètent des dispenses à tout prix.

Ces avantages, regardés par beaucoup de personnes comme la suite des plus grands abus, et par d’autres comme les restes des droits les plus sacrés, sont toujours soutenus avec art. Rome ménage son crédit avec autant de politique que la république romaine en mit à conquérir la moitié du monde connu.

Jamais cour ne sut mieux se conduire selon les hommes et

  1. Voyez l’article Taxe, dans le Dictionnaire philosophique.