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unique sur la terre de ce que peuvent l’amour de la liberté et le travail infatigable. Ces peuples pauvres, peu nombreux, bien moins aguerris que les moindres milices espagnoles, et qui n’étaient comptés encore pour rien dans l’Europe, résistèrent à toutes les forces de leur maître et de leur tyran, Philippe II, éludèrent les desseins de plusieurs princes, qui voulaient les secourir pour les asservir, et fondèrent une puissance que nous avons vue balancer le pouvoir de l’Espagne même. Le désespoir qu’inspire la tyrannie les avait d’abord armés : la liberté avait élevé leur courage, et les princes de la maison d’Orange en avaient fait d’excellents soldats. À peine vainqueurs de leurs maîtres, ils établirent une forme de gouvernement qui conserve, autant qu’il est possible, l’égalité, le droit le plus naturel des hommes[1].

Cet État, d’une espèce si nouvelle, était, depuis sa fondation, attaché intimement à la France : l’intérêt les réunissait ; ils avaient les mêmes ennemis ; Henri le Grand et Louis XIII avaient été ses alliés et ses protecteurs.


DE L’ANGLETERRE.


L’Angleterre, beaucoup plus puissante, affectait la souveraineté des mers, et prétendait mettre une balance entre les dominations de l’Europe ; mais Charles Ier, qui régnait depuis 1625, loin de pouvoir soutenir le poids de cette balance, sentait le sceptre échapper déjà de sa main : il avait voulu rendre son pouvoir en Angleterre indépendant des lois, et changer la religion en Écosse. Trop opiniâtre pour se désister de ses desseins, et trop faible pour les exécuter, bon mari, bon maître, bon père, honnête homme, mais monarque mal conseillé, il s’engagea dans une guerre civile qui lui fit perdre enfin, comme nous l’avons déjà dit[2], le trône et la vie sur un échafaud, par une révolution presque inouïe.

Cette guerre civile, commencée dans la minorité de Louis XIV, empêcha pour un temps l’Angleterre d’entrer dans les intérêts de ses voisins : elle perdit sa considération avec son bonheur ; son commerce fut interrompu ; les autres nations la crurent ensevelie

  1. Voyez sur la situation de la Hollande à l’époque de Louis XIV, Macaulay, History of England, tome II, pages 399 et suivantes.
  2. Tome XIII, pages 61 et suivantes, chapitres CLXXIX et CLXXX de l'Essai sur les Mœurs, et ci-dessus la note, page 159.