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peuples d’être séditieux, les prêtres et les moines d’être quelquefois remuants et fourbes. Tous les siècles se ressemblent par la méchanceté des hommes ; mais je ne connais que ces quatre âges distingués par les grands talents.

Avant le siècle que j’appelle de Louis XIV, et qui commence à peu près à l’établissement de l’Académie française[1], les Italiens appelaient tous les ultramontains du nom de barbares ; il faut avouer que les Français méritaient en quelque sorte cette injure. Leurs pères joignaient la galanterie romanesque des Maures à la grossièreté gothique. Ils n’avaient presque aucun des arts aimables, ce qui prouve que les arts utiles étaient négligés : car lorsqu’on a perfectionné ce qui est nécessaire, on trouve bientôt le beau et l’agréable, et il n’est pas étonnant que la peinture, la sculpture, la poésie, l’éloquence, la philosophie, fussent presque inconnues à une nation qui, ayant des ports sur l’Océan et sur la Méditerranée, n’avait pourtant point de flotte, et qui, aimant le luxe à l’excès, avait à peine quelques manufactures grossières.

Les Juifs, les Génois, les Vénitiens, les Portugais, les Flamands, les Hollandais, les Anglais, firent tour à tour le commerce de la France, qui en ignorait les principes. Louis XIII, à son avènement à la couronne, n’avait pas un vaisseau ; Paris ne contenait pas quatre cent mille hommes, et n’était pas décoré de quatre beaux édifices ; les autres villes du royaume ressemblaient à ces bourgs qu’on voit au delà de la Loire. Toute la noblesse, cantonnée à la campagne dans des donjons entourés de fossés, opprimait ceux qui cultivent la terre. Les grands chemins étaient presque impraticables ; les villes étaient sans police, l’État sans argent, et le gouvernement presque toujours sans crédit parmi les nations étrangères.

On ne doit pas se dissimuler que, depuis la décadence de la famille de Charlemagne, la France avait langui plus ou moins dans cette faiblesse, parce qu’elle n’avait presque jamais joui d’un bon gouvernement.

Il faut pour qu’un État soit puissant, ou que le peuple ait une liberté fondée sur les lois, ou que l’autorité souveraine soit affermie sans contradiction. En France, les peuples furent esclaves jusque vers le temps de Philippe-Auguste ; les seigneurs furent tyrans jusqu’à Louis XI, et les rois, toujours occupés à soutenir leur autorité contre leurs vassaux, n’eurent jamais ni le temps

  1. Louis XIV est né le 5 septembre 1638 ; l’établissement de l’Académie française est de 1635.