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DU SIÈCLE DE LOUIS XIV.

Noëls ; ils ressemblaient aux barcarolles de Venise : c’était tout ce qu’on voulait alors. Plus cette musique était faible, plus on la retenait aisément ; mais le récitatif est si beau que Rameau n’a jamais pu l’égaler. « Il me faut des chanteurs, disait-il, et à Lulli des acteurs. » Rameau a enchanté les oreilles, Lulli enchantait l’âme ; c’est un des grands avantages du siècle de Louis XIV que Lulli ait rencontré un Quinault.

Après Lulli, tous les musiciens, comme Colasse, Campra, Destouches[1], et les autres, ont été ses imitateurs, jusqu’à ce qu’enfin Rameau est venu, qui s’est élevé au-dessus d’eux par la profondeur de son harmonie, et qui a fait de la musique un art nouveau.

À l’égard des musiciens de chapelle, quoiqu’il y en ait plusieurs célèbres en France, leurs ouvrages n’ont point encore été exécutés ailleurs.


PEINTRES.


Il n’en est pas de la peinture comme de la musique. Une nation peut avoir un chant qui ne plaise qu’à elle, parce que le génie de sa langue n’en admettra pas d’autres ; mais les peintres doivent représenter la nature, qui est la même dans tous les pays, et qui est vue avec les mêmes yeux.

Il faut, pour qu’un peintre ait une juste réputation, que ses ouvrages aient un prix chez les étrangers. Ce n’est pas assez d’avoir un petit parti, et d’être loué dans de petits livres : il faut être acheté.

Ce qui resserre quelquefois les talents des peintres est ce qui semblerait devoir les étendre : c’est le goût académique ; c’est la manière qu’ils prennent d’après ceux qui président. Les académies sont, sans doute, très-utiles pour former des élèves, surtout quand les directeurs travaillent dans le grand goût ; mais si le chef a le goût petit, si sa manière est aride et léchée, si ses figures grimacent, si ses tableaux sont peints comme les éventails, les élèves, subjugués par l’imitation ou par l’envie de plaire à un mauvais maître, perdent entièrement l’idée de la belle nature. Il

  1. Pascal Colasse, né en 1639, est mort en 1709. Sur Campra, voyez une note de la Vie de J.-B. Rousseau, § iii ; sur Destouches, voyez, dans les Mélanges, l’opuscule intitulé André Destouches à Siam.