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ARTISTES CÉLÈBRES

chez un roi[1] qui entretient un des meilleurs opéras de l’Europe, et qui, parmi ses autres talents singuliers, a cultivé avec un très-grand soin celui de la musique.

Lulli (Jean-Baptiste), né à Florence en 1633, amené en France à l’âge de quatorze ans, et ne sachant encore que jouer du violon, fut le père de la vraie musique en France. Il sut accommoder son art au génie de la langue ; c’est l’unique moyen de réussir. Il est à remarquer qu’alors la musique italienne ne s’éloignait pas de la gravité et de la noble simplicité que nous admirons encore dans les récitatifs de Lulli.

Rien ne ressemble plus à ces récitatifs que le fameux motet de Luigi, chanté en Italie avec tant de succès dans le xviie siècle, et qui commence ainsi :

Sunt breves mundi rosæ,
Sunt fugitivi flores ;
Frondes veluti annosæ
Sunt labiles honores[2].

Il faut bien observer que dans cette musique de pure déclamation, qui est la mélopée des anciens, c’est principalement la beauté naturelle des paroles qui produit la beauté du chant ; on ne peut bien déclamer que ce qui mérite de l’être. C’est à quoi on se méprit beaucoup du temps de Quinault et de Lulli. Les poëtes étaient jaloux du poëte, et ne l’étaient pas du musicien. Boileau reproche à Quinault

. . . . . . . . ces lieux communs de morale lubrique,
Que Lulli réchauffa des sons de sa musique.

Les passions tendres, que Quinault exprimait si bien, étaient, sous sa plume, la peinture vraie du cœur humain bien plus qu’une morale lubrique. Quinault, par sa diction, échauffait encore plus la musique que l’art de Lulli n’échauffait ses paroles. Il fallait ces deux hommes et des acteurs pour faire de quelques scènes d’Atys, d’Armide, et de Roland, un spectacle tel que ni l’antiquité ni aucun peuple contemporain n’en connut. Les airs détachés, les ariettes, ne répondirent pas à la perfection de ces grandes scènes. Ces airs, ces petites chansons, étaient dans le goût de nos

  1. Frédéric le Grand, roi de Prusse.
  2. Voyez, dans le Dictionnaire philosophique, l’article Art dramatique, du Récitatif de Lulli.