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DU SIÈCLE DE LOUIS XIV.

Pascal, mais rempli de beaux détails, tels que ces vers du chant second, dans lequel il traduit Lucrèce pour le réfuter :

Cet esprit, ô mortels, qui vous rend si jaloux,
N’est qu’un feu qui s’allume et s’éteint avec nous.
Quand par d’affreux sillons l’implacable vieillesse
A sur un front hideux imprimé la tristesse ;
Que, dans un corps courbé sous un amas de jours,
Le sang, comme à regret, semble achever son cours ;
Lorsqu’en des yeux couverts d’un lugubre nuage
Il n’entre des objets qu’une infidèle image ;
Qu’en débris chaque jour le corps tombe et périt :
En ruines aussi je vois tomber l’esprit.
L’âme mourante alors, flambeau sans nourriture,
Jette par intervalle une lueur obscure.
Triste destin de l’homme ! il arrive au tombeau
Plus faible, plus enfant qu’il ne l’est au berceau.
La mort d’un coup fatal frappe enfin l’édifice ;
Dans un dernier soupir, achevant son supplice,
Lorsque, vide de sang, le cœur reste glacé,
Son âme s’évapore, et tout l’homme est passé.

Il s’élève quelquefois dans ce poëme contre le tout est bien des lords Shaftesbury et Bolingbroke, si bien mis en vers par Pope :

Sans doute qu’à ces mots, des bords de la Tamise,
Quelque abstrait raisonneur qui ne se plaint de rien,
Dans son flegme anglican répondra : Tout est bien.

Racine, en qualité de janséniste, croyait que presque tout est mal depuis longtemps ; il accuse Pope d’irréligion. Pope était fils d’un papiste, c’est ainsi qu’on appelle en Angleterre les catholiques romains. Pope, élevé dans cette religion qu’il tourne quelquefois en ridicule dans ses épîtres, ne voulut cependant pas la quitter quoiqu’il fût philosophe, ou plutôt parce qu’il était assez philosophe pour croire que ce n’était pas la peine de changer. Il fut très-piqué des accusations de Louis Racine. Ramsay entreprit de les concilier. C’était un Écossais du clan des Ramsay, et qui en avait pris le nom, suivant l’usage de ce pays. Il était venu en France après avoir essayé du presbytérianisme, de l’église anglicane, et du quakerisme, et s’était attaché à l’illustre Fénelon, dont il a depuis écrit la vie. C’est lui qui est l’auteur des Voyages de Cyrus, très-faible imitation du Télémaque. Il imagina d’écrire à Louis Racine une lettre sous le nom de Pope, dans laquelle celui-ci semble se justifier.