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ÉCRIVAINS FRANÇAIS

jours imparfaites, les différences toujours grandes. La conduite de la guerre est comme les jeux d’adresse, qu’on n’apprend que par l’usage ; et les jours d’action sont quelquefois des jeux de hasard.

Racine (Jean), né à la Ferté-Milon en 1639, élevé à Port-Royal. Il portait encore l’habit ecclésiastique quand il fit la tragédie de Théagène, qu’il présenta à Molière, et celle des Frères ennemis, dont Molière lui donna le sujet[1]. Il est intitulé prieur de l’Épinai dans le privilége de l’Andromaque. Louis XIV fut sensible à son extrême mérite. Il lui donna une charge de gentilhomme ordinaire, le nomma quelquefois des voyages de Marly, le fit coucher dans sa chambre, dans une de ses maladies, et le combla de gratifications. Cependant Racine mourut de chagrin ou de crainte de lui avoir déplu[2]. Il n’était pas aussi philosophe que grand poëte. On lui a rendu justice fort tard. « Nous avons été touchés, dit Saint-Évremond, de Mariamne, de Sophonisbe, d’Alcyonée, d’Andromaque, et de Britannicus. » C’est ainsi qu’on mettait non-seulement la mauvaise Sophonisbe de Corneille, mais encore les impertinentes pièces d’Alcyonée et de Mariamne[3], à côté de ces chefs-d’œuvre immortels. L’or est confondu avec la boue pendant la vie des artistes, et la mort les sépare.

Il est à remarquer que Racine ayant consulté Corneille sur sa tragédie d’Alexandre, Corneille lui conseilla de ne plus faire de tragédies, et lui dit qu’il n’avait nul talent pour ce genre d’écrire[4]. N’oublions pas qu’il écrivit contre les jansénistes, et qu’il se fit ensuite janséniste. Mort en 1699.

Racine[5] (Louis), fils de l’immortel Jean Racine, a marché sur les traces de son père, mais dans un sentier plus étroit et moins fait pour les muses. Il entendait la mécanique des vers aussi bien que son père, mais il n’en avait ni l’âme ni les grâces. Il manquait d’ailleurs d’invention et d’imagination. Janséniste comme son père, il ne fit des vers que pour le jansénisme. On en trouve de très-beaux dans le poème de la Grâce, et dans celui de la Religion, ouvrage trop didactique et trop monotone, copié des Pensées de

  1. Rien n’est moins prouvé.
  2. Il y a ici beaucoup d’exagération.
  3. L’Alcyonée de du Ryer est de 1630 ; la Mariamne de Tristan est de 1636 ; c’était le Cléomédon de du Ryer qu’on opposait au Cid.
  4. Fontenelle donna le même conseil à M. de Voltaire, après la tragédie de Brutus. Tous deux étaient de bonne foi. Corneille trouvait Racine trop simple, et Fontenelle trouvait Voltaire trop brillant. (K.)
  5. Cet article est de 1768. Louis Racine, né le 6 novembre 1692, est mort le 29 Janvier 1763.