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ÉCRIVAINS FRANÇAIS

origine au plaisir innocent que prenaient plusieurs personnes de mérite de s’assembler dans un café. On n’y respectait pas assez la première loi de la société, de se ménager les uns les autres. On se critiquait durement, et de simples impolitesses donnèrent lieu à des haines durables et à des crimes. C’est au lecteur à juger si dans cette affaire il y a eu trois criminels ou un seul.

[1] On a dit qu’il se pourrait à toute force que Saurin eût été l’auteur des derniers couplets attribués à Rousseau. Il se pourrait que, Rousseau ayant été reconnu coupable des cinq premiers, qui étaient de la même atrocité, Saurin eût fait les derniers pour le perdre, quoiqu’il n’y eût aucune rivalité entre ces deux hommes, quoique Saurin fût alors plongé dans les calculs de l’algèbre, quoique lui-même fût cruellement outragé dans ces derniers couplets, quoique tous les offensés les imputassent unanimement à Rousseau, enfin quoiqu’un jugement solennel ait déclaré Saurin innocent. Mais, si la chose est physiquement dans l’ordre des possibles, elle n’est nullement vraisemblable. Rousseau l’en accusa toute sa vie : il le chargea de ce crime par son testament ; mais le professeur Rollin, auquel Rousseau montra ce testament quand il vint clandestinement à Paris, l’obligea de rayer cette accusation. Rousseau se contenta de protester de son innocence à l’article de la mort ; mais il n’osa jamais accuser Lamotte, ni pendant le cours du procès, ni durant le reste de sa vie, ni à ses derniers moments. Il se contenta de faire toujours des vers contre lui. (Voyez l’article Joseph Saurin[2].)

Lancelot (Claude), né à Paris en 1616. Il eut part à des

  1. En 1756, l’article se terminait ainsi : « Il se pourrait que Saurin eût été l’auteur des derniers couplets attribués à Rousseau. Il se pourrait que Rousseau, ayant été reconnu coupable des cinq premiers, Saurin eût fait les autres pour le perdre, quoiqu’il n’y eût point de rivalité entre ces deux hommes ; mais il n’y a aucune raison d’en accuser Lamotte. Le but de cet article est seulement de justifier Lamotte, que je crois innocent. Il sera difficile, après tout, de savoir qui de Joseph Saurin ou de Rousseau était le coupable ; mais Lamotte ne l’était pas. »

    Lorsqu’en 1757 Voltaire fit les cartons dont il est parlé dans l’Avertissement de Beuchot, il avait changé la rédaction de ce passage, qu’on lisait ainsi : « Il se pourrait, à toute force, que Saurin eût été l’auteur des derniers couplets attribués à Rousseau. Il se pourrait que, Rousseau ayant été reconnu coupable des cinq premiers, Saurin eût fait les autres pour le perdre, quoiqu’il n’y eût point de rivalité entre ces deux hommes. Rousseau l’en accusa toute sa vie ; il l’avait même chargé encore de ce crime par son testament ; mais le professeur Rollin l’engagea à rayer cette dernière imputation. Rousseau n’osa jamais accuser Lamotte pendant le cours du procès, ni pendant le reste de sa vie, ni à la mort ; voyez l’article Saurin. »

    B.-J. Saurin, fils de Joseph, réclama contre cette version, que Voltaire modifia en 1763 et en 1768. (B.)

  2. Et aussi l’article J.-B. Rousseau.