Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/109

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
89
DU SIÈCLE DE LOUIS XIV.


4° Boindin[1] prétend que ce joaillier et Saurin le géomètre s’unirent avec Lamotte pour empêcher Rousseau d’obtenir la pension de Boileau, qui vivait encore en 1710. Serait-il possible que trois personnes de professions si différentes se fussent unies et eussent médité ensemble une manœuvre si réfléchie, si infâme et si difficile, pour priver un citoyen, alors obscur, d’une pension qui ne vaquait pas, que Rousseau n’aurait pas eue, et à laquelle aucun de ces trois associés ne pouvait prétendre ?

5° Après être convenu que Rousseau avait fait les cinq premiers couplets, suivis de ceux qui lui attirèrent sa disgrâce, il fait tomber sur Lamotte-Houdard le soupçon d’une douzaine d’autres dans le même goût ; et, pour unique preuve de cette accusation, il dit que ces douze couplets contre une douzaine de personnes qui devaient s’assembler chez N. de Villiers furent apportés par Lamotte-Houdard lui-même chez le sieur de Villiers, une heure après que Rousseau avait été informé que les intéressés devaient s’assembler dans cette maison. Or, dit-il, Rousseau n’avait pu en une heure de temps composer et transcrire ces vers diffamatoires. C’est Lamotte qui les apporta ; donc Lamotte en est l’auteur. Au contraire, c’est, ce me semble, parce qu’il à la bonne foi de les apporter qu’il ne doit pas être soupçonné de la scélératesse de les avoir faits. On les a jetés à sa porte, ainsi qu’à la porte de quelques autres particuliers. Il a ouvert le paquet ; il a trouvé des injures atroces contre tous ses amis et contre lui-même ; il vient en rendre compte : rien n’a plus l’air de l’innocence.

6° Ceux qui s’intéressent à l’histoire de ce mystère d’iniquité doivent savoir que l’on s’assemblait depuis un mois chez N. de Villiers, et que ceux qui s’y assemblaient étaient, pour la plupart, les mêmes que Rousseau avait déjà outragés dans cinq couplets qu’il avait imprudemment récités à quelques personnes. Le premier même de ces douze nouveaux couplets marquait assez que les intéressés s’assemblaient tantôt au café[2], tantôt chez Villiers.

Sots assemblés chez de Villiers,
Parmi les sots troupe d’élite,
D’un vil café dignes piliers.
Craignez la fureur qui m’irrite.
Je vais vous poursuivre en tous lieux,
Vous noircir, vous rendre odieux ;
Je veux que partout on vous chante ;

  1. Cet alinéa fut ajouté en 1768. Le précédent fut alors retouché. (B.)
  2. Le café tenu par la veuve Laurent, au coin des rues Dauphine et Christine.