Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/108

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
88
ÉCRIVAINS FRANÇAIS


[1] L’intérêt seul de la vérité oblige à passer ici les bornes ordinaires de ces articles.

Cet homme de mœurs si douces, et de qui jamais personne n’eut à se plaindre, a été accusé après sa mort, presque juridiquement, d’un crime énorme, d’avoir composé les horribles couplets qui perdirent Rousseau en 1710, et d’avoir conduit plusieurs années toute la manœuvre qui fit condamner un innocent. Cette accusation a d’autant plus de poids qu’elle est faite par un homme très-instruit de cette affaire, et faite comme une espèce de testament de mort. Nicolas Boindin, procureur du roi des trésoriers de France, en mourant en 1751, laisse un Mémoire très-circonstancié, dans lequel il charge, après plus de quarante années, Lamotte-Houdard, de l’Académie française, Joseph Saurin, de l’Académie des sciences, et Malafer, marchand bijoutier, d’avoir ourdi toute cette trame ; et le Châtelet et le parlement d’avoir rendu consécutivement les jugements les plus injustes.

1º Si N. Boindin était en effet persuadé de l’innocence de Rousseau, pourquoi tant tarder à la faire connaître ? pourquoi ne pas la manifester après la mort de ses ennemis ? pourquoi ne pas donner ce Mémoire écrit il y a plus de vingt années ?

2º Qui ne voit clairement que le Mémoire de Boindin est un libelle diffamatoire, et que cet homme haïssait également tous ceux dont il parle dans cette dénonciation faite à la postérité ?

3º Il commence par des faits dont on connaît toute la fausseté. Il prétend que le comte de Nocé[2], et N. Melon[3], secrétaire du régent, étaient les associés de Malafer, petit marchand joaillier. Tous ceux qui les ont fréquentés savent que c’est une insigne calomnie. Ensuite il confond N. La Faye[4], secrétaire du cabinet du roi, avec son frère le capitaine aux gardes. Enfin comment peut-on imputer à un joaillier d’avoir eu part à toute cette manœuvre des couplets ?

  1. La fin de cet article, sauf quelques corrections et additions, est de 1752. Au moment où l’on imprimait l’édition de 1752, « on publiait, dit M. Clogenson, le Mémoire pour servir à l*histoire des couplets de 1710, attribués faussement à Rousseau. Voilà pourquoi l’article de Lamotte-Houdard est plus long que la plupart des autres. » (B.)
  2. Ou Nocei, gendre de Mme  de La Sablière.
  3. Voyez tome X, page 89.
  4. Jean-François-Leriget de La Faye, mort en 1731, est l’auteur des vers cités par Voltaire, tome ler du Théâtre, page 57 ; c’est pour son portrait que Voltaire fit les vers qui sont dans les Poésies mêlées, tome X, page 486. Il était frère cadet de Jean-Élie, capitaine aux gardes, mort en 1718.