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CHAPITRE CLXXXII.

ration du meurtre de son père. Le parlement d’Angleterre surtout, qui seul pouvait le rendre puissant, lui assigna un revenu de douze cent mille livres sterling, pour lui et pour toutes les parties de l’administration, indépendamment des fonds destinés pour la flotte ; jamais Élisabeth n’en avait eu tant. Cependant Charles II, prodigue, fut toujours indigent. La nation ne lui pardonna pas de vendre pour moins de deux cent quarante mille livres sterling Dunkerque, acquise par les négociations et les armes de Cromwell.

La guerre qu’il eut d’abord contre les Hollandais fut très-onéreuse, puisqu’elle coûta sept millions et demi de livres sterling au peuple ; et elle fut honteuse, puisque l’amiral Ruyter entra jusque dans le port de Chatham, et y brûla les vaisseaux anglais.

Des accidents funestes se mêlèrent à ces désastres : (1665) une peste ravagea Londres au commencement de ce règne, (1666) et la ville presque entière fut détruite par un incendie. Ce malheur, arrivé après la contagion, et au fort d’une guerre malheureuse contre la Hollande, paraissait irréparable ; cependant, à l’étonnement de l’Europe, Londres fut rebâtie en trois années, beaucoup plus belle, plus régulière, plus commode, qu’elle n’était auparavant. Un seul impôt sur le charbon et l’ardeur des citoyens suffirent à ce travail immense. Ce fut un grand exemple de ce que peuvent les hommes, et qui rend croyable ce qu’on rapporte des anciennes villes de l’Asie et de l’Égypte, construites avec tant de célérité.

Ni ces accidents, ni ces travaux, ni la guerre de 1672 contre la Hollande, ni les cabales dont la cour et le parlement furent remplis, ne dérobèrent rien aux plaisirs et à la gaieté que Charles II avait amenés en Angleterre, comme les productions du climat de la France, où il avait demeuré plusieurs années. Une maîtresse française, l’esprit français, et surtout l’argent de la France, dominaient à la cour.

Malgré tant de changements dans les esprits, ni l’amour de la liberté et de la faction ne changea dans le peuple, ni la passion du pouvoir absolu dans le roi et dans le duc d’York son frère. On vit enfin, au milieu des plaisirs, la confusion, la division, la haine des partis et des sectes, désoler encore les trois royaumes. Il n’y eut plus, à la vérité, de grandes guerres civiles comme du temps de Cromwell, mais une suite de complots, de conspirations, de meurtres juridiques ordonnés en vertu des lois interprétées par la haine, et enfin plusieurs assassinats, auxquels la nation n’était