Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome13.djvu/97

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
80
DE L’ANGLETERRE SOUS CHARLES II.

leur sentiment. Ils disent que cette religion pure est aussi ancienne que le monde ; qu’elle était celle du peuple hébreu avant que Moïse lui donnât un culte particulier. Ils se fondent sur ce que les lettrés de la Chine l’ont toujours professée ; mais ces lettrés de la Chine ont un culte public, et les théistes d’Europe n’ont qu’un culte secret, chacun adorant Dieu en particulier, et ne faisant aucun scrupule d’assister aux cérémonies publiques : du moins il n’y a eu jusqu’ici qu’un très-petit nombre de ceux qu’on nomme unitaires qui se soient assemblés ; mais ceux-là se disent chrétiens primitifs plutôt que théistes.

La Société royale de Londres, déjà formée, mais qui ne s’établit par des lettres-patentes qu’en 1660, commença à adoucir les mœurs en éclairant les esprits. Les belles-lettres renaquirent et se perfectionnèrent de jour en jour. On n’avait guère connu, du temps de Cromwell, d’autre science et d’autre littérature que celle d’appliquer des passages de l’Ancien et du Nouveau Testament aux dissensions publiques et aux révolutions les plus atroces. On s’appliqua alors à connaître la nature, et à suivre la route que le chancelier Bacon avait montrée. La science des mathématiques fut portée bientôt à un point que les Archimède n’auraient pu même deviner. Un grand homme[1] a connu enfin les lois primitives, jusqu’alors cachées, de la constitution générale de l’univers ; et, tandis que toutes les autres nations se repaissaient de fables, les Anglais trouvèrent les plus sublimes vérités. Tout ce que les recherches de plusieurs siècles avaient appris en physique n’approchait pas de la seule découverte de la nature de la lumière. Les progrès furent rapides et immenses en vingt ans : c’est là un mérite, une gloire, qui ne passeront jamais. Le fruit du génie et de l’étude reste, et les effets de l’ambition, du fanatisme, et des passions, s’anéantissent avec les temps qui les ont produits. L’esprit de la nation acquit sous le règne de Charles II une réputation immortelle, quoique le gouvernement n’en eût point.

L’esprit français qui régnait à la cour la rendit aimable et brillante ; mais en l’assujettissant à des mœurs nouvelles, elle l’asservit aux intérêts de Louis XIV, et le gouvernement anglais, vendu longtemps à celui de France, fit quelquefois regretter le temps où l’usurpateur Cromwell rendait sa nation respectable.

Le parlement d’Angleterre et celui d’Écosse, rétablis, s’empressèrent d’accorder au roi, dans chacun de ces deux royaumes, tout ce qu’ils pouvaient lui donner, comme une espèce de répa-

  1. Newton.