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DES MALHEURS ET DE LA MORT DE CHARLES Ier.

la ville était asservie à l’armée, et ce même conseil de ville, qui naguère avait pris le parti du roi, dirigé alors par les vainqueurs, demanda par une requête qu’on lui fît son procès.

La chambre des communes établit un comité de trente-huit personnes, pour dresser contre le roi des accusations juridiques : on érige une cour de justice nouvelle, composée de Fairfax, de Cromwell, d’Ireton, gendre de Cromwell, de Waller, et de cent quarante-sept autres juges. Quelques pairs qui s’assemblaient encore dans la chambre haute seulement pour la forme, tous les autres s’étant retirés, furent sommés de joindre leur assistance juridique à cette chambre illégale ; aucun d’eux n’y voulut consentir. Leur refus n’empêcha point la nouvelle cour de justice de continuer ses procédures.

Alors la chambre basse déclara enfin que le pouvoir souverain réside originairement dans le peuple, et que les représentants du peuple avaient l’autorité légitime : c’était une question que l’armée jugeait par l’organe de quelques citoyens ; c’était renverser toute la constitution de l’Angleterre. La nation est, à la vérité, représentée légalement par la chambre des communes ; mais elle l’est aussi par un roi et par les pairs. On s’est toujours plaint, dans les autres États, quand on a vu des particuliers jugés par des commissaires : et c’étaient ici des commissaires nommés par la moindre partie du parlement, qui jugeaient leur souverain. Il n’est pas douteux que la chambre des communes ne crût en avoir le droit ; elle était composée d’indépendants, qui pensaient tous que la nature n’avait mis aucune différence entre le roi et eux, et que la seule qui subsistait était celle de la victoire. Les Mémoires de Ludlow, colonel alors dans l’armée, et l’un des juges, font voir combien leur fierté était flattée en secret de condamner en maîtres celui qui avait été le leur. Ce même Ludlow, presbytérien rigide, ne laisse pas douter que le fanatisme n’eût part à cette catastrophe. Il développe tout l’esprit du temps, en citant ce passage de l’Ancien Testament : « Le pays ne peut être purifié de sang que par le sang de celui qui l’a répandu. »

(Janvier 1648) Enfin Fairfax, Cromwell, les indépendants, les presbytériens, croyaient la mort du roi nécessaire à leur dessein d’établir une république. Cromwell ne se flattait certainement pas alors de succéder au roi ; il n’était que lieutenant général dans une armée pleine de factions. Il espérait, avec grande raison, dans cette armée et dans la république, le crédit attaché à ses grandes actions militaires et à son ascendant sur les esprits ; mais s’il avait formé dès lors le dessein de se faire reconnaître pour