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DES MALHEURS ET DE LA MORT DE CHARLES Ier.

entre tous les hommes ; mais ils allaient à cette égalité par la violence. Olivier Cromwell les regarda comme des instruments propres à favoriser ses desseins.

La ville de Londres, partagée entre plusieurs factions, se plaignait alors du fardeau de la guerre civile que le parlement appesantissait sur elle. Cromwell fit proposer à la chambre des communes, par quelques indépendants, de réformer l’armée, et de s’engager, eux et les pairs, à renoncer à tous les emplois civils et militaires. Tous ces emplois étaient entre les mains des membres des deux chambres. Trois pairs étaient généraux des armées parlementaires. La plupart des colonels et des majors, des trésoriers, des munitionnaires, des commissaires de toute espèce, étaient de la chambre des communes. Pouvait-on se flatter d’engager par la force de la parole tant d’hommes puissants à sacrifier leurs dignités et leurs revenus ? C’est pourtant ce qui arriva dans une seule séance. La chambre des communes surtout fut éblouie de l’idée de régner sur les esprits du peuple par un désintéressement sans exemple. On appela cet acte l’acte du renoncement à soi-même. Les pairs hésitèrent ; mais la chambre des communes les entraîna. Les lords Essex, Denbigh, Fairfax, Manchester, se déposèrent eux-mêmes du généralat (1645) ; et le chevalier Fairfax, fils du général, n’étant point de la chambre des communes, fut nommé seul commandant de l’armée.

C’était ce que voulait Cromwell ; il avait un empire absolu sur le chevalier Fairfax. Il en avait un si grand dans la chambre qu’on lui conserva un régiment, quoiqu’il fût membre du parlement ; et même il fut ordonné au général de lui confier le commandement de la cavalerie qu’on envoyait alors à Oxford. Le même homme qui avait eu l’adresse d’ôter à tous les sénateurs tous les emplois militaires eut celle de faire conserver dans leurs postes les officiers du parti des indépendants, et dès lors on s’aperçut bien que l’armée devait gouverner le parlement. Le nouveau général Fairfax, aidé de Cromwell, réforma toute l’armée, incorpora des régiments dans d’autres, changea tous les corps, établit une discipline nouvelle : ce qui, dans tout autre temps, eût excité une révolte, se fit alors sans résistance.

Cette armée, animée d’un nouvel esprit, marcha droit au roi, près d’Oxford ; et alors se donna la bataille décisive de Naseby, non loin d’Oxford. Cromwell, général de la cavalerie, après avoir mis en déroute celle du roi, revint défaire son infanterie, et eut presque seul l’honneur de cette célèbre journée (14 juin 1645). L’armée royale, après un grand carnage, fut, ou prisonnière, ou