Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome13.djvu/66

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
54
CHAPITRE CLXXIX.

le dessein des conjurés. On va par son ordre, la nuit même qui précédait le jour de l’assemblée, visiter les caves sous la salle : on trouve un homme à la porte, avec une mèche, et un cheval qui l’attendait : on trouve les trente-six tonneaux.

Piercy et les chefs, au premier avis de la découverte, eurent encore le temps de rassembler cent cavaliers catholiques, et vendirent chèrement leurs vies. Huit conjurés seulement furent pris et exécutés ; les deux jésuites périrent du même supplice. Le roi soutint publiquement qu’ils avaient été légitimement condamnés ; leur ordre les soutint innocents, et en fit des martyrs. Tel était l’esprit du temps dans tous les pays où les querelles de la religion aveuglaient et pervertissaient les hommes.

Cependant la conspiration des poudres fut le seul grand exemple d’atrocité que les Anglais donnèrent au monde sous le règne de Jacques Ier. Loin d’être persécuteur, il embrassait ouvertement le tolérantisme ; il censura vivement les presbytériens, qui enseignaient alors que l’enfer est nécessairement le partage de tout catholique romain.

Son règne fut une paix de vingt-deux années : le commerce florissait ; la nation vivait dans l’abondance. Ce règne fut pourtant méprisé au dehors et au dedans. Il le fut au dehors, parce qu’étant à la tête du parti protestant en Europe, il ne le soutint pas contre le parti catholique, dans la grande crise de la guerre de Bohême, et que Jacques abandonna son gendre, l’électeur palatin ; négociant quand il fallait combattre, trompé à la fois par la cour de Vienne et par celle de Madrid, envoyant toujours de célèbres ambassades, et n’ayant jamais d’alliés.

Son peu de crédit chez les nations étrangères contribua beaucoup à le priver de celui qu’il devait avoir chez lui. Son autorité en Angleterre éprouva un grand déchet par le creuset où il la mit lui-même, en voulant lui donner trop de poids et trop d’éclat, ne cessant de dire à son parlement que Dieu l’avait fait maître absolu, que tous leurs priviléges n’étaient que des concessions de la bonté des rois. Par là il excita les parlements à examiner les bornes de l’autorité royale, et l’étendue des droits de la nation. On chercha dès lors à poser des limites qu’on ne connaissait pas bien encore.

L’éloquence du roi ne servit qu’à lui attirer des critiques sévères : on ne rendit pas à son érudition toute la justice qu’il croyait mériter, Henri IV ne l’appelait jamais que Maître Jacques, et ses sujets ne lui donnaient pas des titres plus flatteurs. Aussi il disait à son parlement : « Je vous ai joué de la flûte, et vous n’avez point dansé ; je vous ai chanté des lamentations, et vous n’avez