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GOUVERNEMENT ET MŒURS DE L’ESPAGNE.
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flamandes, reste des monuments de la maison de Bourgogne, fournissaient à Madrid ce que l’on connaissait alors de magnificence. Les étoffes d’or et d’argent étaient défendues dans cette monarchie, comme elles le seraient dans une république indigente qui craindrait de s’appauvrir. En effet, malgré les mines du nouveau monde, l’Espagne était si pauvre que le ministère de Philippe IV se trouva réduit à la nécessité de la monnaie de cuivre, à laquelle on donna un prix presque aussi fort qu’à l’argent : il fallut que le maître du Mexique et du Pérou fît de la fausse monnaie pour payer les charges de l’État. On n’osait, si on en croit le sage Gourville, imposer des taxes personnelles, parce que ni les bourgeois ni les gens de la campagne, n’ayant presque point de meubles, n’auraient jamais pu être contraints à payer. Jamais ce que dit Charles-Quint ne se trouva si vrai : « En France tout abonde, tout manque en Espagne. »

Le règne de Philippe IV ne fut qu’un enchaînement de pertes et de disgrâces, et le comte-duc Olivarès fut aussi malheureux dans son administration que le cardinal de Richelieu fut heureux dans la sienne.

(1625) Les Hollandais, qui commencèrent la guerre à l’expiration de la trêve de douze années, enlèvent le Brésil à l’Espagne ; il leur en est resté Surinam. Ils prennent Mastricht, qui leur est enfin demeuré. Les armées de Philippe sont chassées de la Valteline et du Piémont par les Français, sans déclaration de guerre ; et enfin, lorsque la guerre est déclarée en 1635, Philippe IV est malheureux de tous côtés. L’Artois est envahi (1639) ; la Catalogne entière, jalouse de ses priviléges auxquels il attentait, se révolte, et se donne à la France (1640) ; le Portugal secoue le joug (1641) ; une conspiration aussi bien exécutée que bien conduite mit sur le trône la maison de Bragance. Le premier ministre, Olivarès, eut la confusion d’avoir contribué lui-même à cette grande révolution en envoyant de l’argent au duc de Bragance, pour ne point laisser de prétexte au refus de ce prince de venir à Madrid. Cet argent même servit à payer les conjurés.

La révolution n’était pas difficile. Olivarès avait eu l’imprudence de retirer une garnison espagnole de la forteresse de Lisbonne. Peu de troupes gardaient le royaume. Les peuples étaient irrités d’un nouvel impôt ; et enfin le premier ministre, qui croyait tromper le duc de Bragance, lui avait donné le commandement des armées (11 décembre 1640). La duchesse de Mantoue, vice-reine, fut chassée sans que personne prît sa défense. Un secrétaire d’État espagnol et un de ses commis furent les seules