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CHAPITRE CLXXVI.

nonçât alors. Ce faux goût, qui régna si longtemps, n’ôtait rien au génie du ministre, et l’esprit du gouvernement a toujours été compatible avec la fausse éloquence et le faux bel esprit. Le mariage de Monsieur fut solennellement cassé ; et même l’assemblée générale du clergé, en 1635, se conformant à l’édit, déclara nuls les mariages des princes du sang contractés sans la volonté du roi. Rome ne vérifia pas cette loi de l’État et de l’Église de France.

L’état de la maison royale devenait problématique en Europe. Si l’héritier présomptif du royaume persistait dans un mariage réprouvé en France, les enfants nés de ce mariage étaient bâtards en France, et auraient besoin d’une guerre civile pour hériter : s’il prenait une autre femme, les enfants nés de ce nouveau mariage étaient bâtards à Rome, et ils faisaient une guerre civile contre les enfants du premier lit. Ces extrémités furent prévenues par la fermeté de Monsieur : il n’en eut qu’en cette occasion, et le roi consentit enfin, au bout de quelques années, à reconnaître la femme de son frère ; mais l’édit qui casse tous les mariages des princes du sang contractés sans l’aveu du roi est demeuré dans toute sa force.

Cette opiniâtreté du cardinal à poursuivre le frère du roi jusque dans l’intérieur de sa maison, à lui ôter sa femme, à dépouiller le duc de Lorraine, son beau-frère, à tenir la reine mère dans l’exil et dans l’indigence, soulève enfin les partisans de ces princes, et il y eut un complot de l’assassiner : on accusa juridiquement le P. Chanteloube de l’Oratoire, aumônier de Marie de Médicis, d’avoir suborné des meurtriers, dont l’un fut roué à Metz. Ces attentats furent très-rares : on avait conspiré bien plus souvent contre la vie de Henri IV ; mais les plus grandes inimitiés produisent moins de crimes que le fanatisme.

Le cardinal, mieux gardé que Henri IV, n’avait rien à craindre ; il triomphait de tous ses ennemis. La cour de la reine Marie et de Monsieur, errante et désolée, était encore plongée dans les dissensions qui suivent la faction et le malheur.

Le cardinal de Richelieu avait de plus puissants ennemis à combattre. Il résolut, malgré tous les troubles secrets qui agitaient l’intérieur du royaume, d’établir la force et la gloire de la France au dehors, et de remplir le grand projet de Henri IV, en faisant une guerre ouverte à toute la maison d’Autriche, en Allemagne, en Italie, en Espagne. Cette guerre le rendait nécessaire à un maître qui ne l’aimait pas, et auprès duquel on était souvent prêt de le perdre. Sa gloire était intéressée dans cette entreprise ;