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DU MINISTÈRE DU CARDINAL DE RICHELIEU.

la France, faisait des conquêtes sur les Espagnols, et le cardinal avait des intelligences jusque dans Bruxelles.

En Allemagne, le bonheur extraordinaire des armes de Gustave-Adolphe rehaussait encore les services du cardinal en France. Enfin toutes les prospérités de son ministère tenaient tous ses ennemis dans l’impuissance de lui nuire, et laissaient un libre cours à ses vengeances, que le bien de l’État semblait autoriser. Il établit une chambre de justice, où tous les partisans de la mère et du frère du roi sont condamnés. La liste des proscrits est prodigieuse : on voit chaque jour des poteaux chargés de l’effigie des hommes ou des femmes qui avaient ou suivi ou conseillé Gaston et la reine ; on rechercha jusqu’à des médecins et des tireurs d’horoscopes qui avaient dit que le roi n’avait pas longtemps à vivre ; et deux furent envoyés aux galères. Enfin les biens, le douaire de la reine mère, furent confisqués. « Je ne veux point vous attribuer, écrivit-elle à son fils (1631), la saisie de mon bien, ni l’inventaire qui en a été fait, comme si j’étais morte ; il n’est pas croyable que vous ôtiez les aliments à celle qui vous a donné la vie. »

Tout le royaume murmurait, mais presque personne n’osait élever la voix : la crainte retenait ceux qui pouvaient prendre le parti de la reine mère et du duc d’Orléans. Il n’y eut guère alors que le maréchal duc de Montmorency, gouverneur du Languedoc, qui crut pouvoir braver la fortune du cardinal. Il se flatta d’être chef de parti ; mais son grand courage ne suffisait pas pour ce dangereux rôle : il n’était point maître de sa province, comme Lesdiguières avait su l’être du Dauphiné. Ses profusions l’avaient mis hors d’état d’acheter un assez grand nombre de serviteurs ; son goût pour les plaisirs ne pouvait le laisser tout entier aux affaires : enfin, pour être chef d’un parti, il fallait un parti, et il n’en avait pas.

Gaston le flattait du titre de vengeur de la famille royale. On comptait sur un secours considérable du duc de Lorraine, Charles IV, dont Gaston avait épousé la sœur ; mais ce duc ne pouvait se défendre lui-même contre Louis XIII, qui s’emparait alors d’une partie de ses États. La cour d’Espagne faisait espérer à Gaston, dans les Pays-Bas et vers Trèves, une armée qu’il conduirait en France ; et il put à peine rassembler deux ou trois mille cavaliers allemands, qu’il ne put payer, et qui ne vécurent que de rapines. Dès qu’il paraîtrait en France avec ce secours, tous les peuples devaient se joindre à lui ; et il n’y eut pas une ville qui remuât en sa faveur dans toute sa route, des frontières de la