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DU MINISTÈRE DU CARDINAL DE RICHELIEU.

met en prison tous ceux qui ont voulu lui nuire ou qu’il soupçonne. Toutes ces cruautés, et en même temps toutes ces petitesses de la vengeance ne semblaient pas faites pour une grande âme occupée de la destinée de l’Europe.

Il concluait alors avec Gustave-Adolphe le traité qui devait ébranler le trône de l’empereur Ferdinand II. Il n’en coûtait à la France que trois cent mille livres de ce temps-là une fois payées, et neuf cent mille par an pour diviser l’Allemagne, et pour accabler deux empereurs de suite, jusqu’à la paix de Vestphalie ; et déjà Gustave-Adolphe commençait le cours de ses victoires, qui donnaient à la France tout le temps d’établir en liberté sa propre grandeur. La cour de France devait être alors paisible par les embarras des autres nations ; mais le ministre, en manquant de modération, excita la haine publique, et rendit ses ennemis implacables. Le duc d’Orléans, Gaston, frère du roi, fuit de la cour, se retire dans son apanage d’Orléans, et de là en Lorraine (1632), et proteste qu’il ne rentrera point dans le royaume tant que le cardinal, son persécuteur et celui de sa mère, y régnera. Richelieu fait déclarer, par un arrêt du conseil, tous les amis de Gaston criminels de lèse-majesté. Cet arrêt est envoyé au parlement : les voix y furent partagées. Le roi, indigné de ce partage, manda au Louvre le parlement, qui vint à pied, et qui parla à genoux : sa procédure fut déchirée en sa présence, et trois principaux membres de ce corps furent exilés.

Le cardinal de Richelieu ne se bornait pas à soutenir ainsi son autorité liée désormais à celle du roi ; ayant forcé l’héritier présomptif de la couronne à sortir de la cour, il ne balança plus à faire arrêter la reine, Marie de Médicis. C’était une entreprise délicate depuis que le roi se repentait d’avoir attenté sur sa mère, et de l’avoir sacrifiée à un favori. Le cardinal fit valoir l’intérêt de l’État pour étouffer la voix du sang, et fit jouer les ressorts de la religion pour calmer les scrupules. C’est dans cette occasion surtout qu’il employa le capucin Joseph du Tremblai, homme en son genre aussi singulier que Richelieu même, enthousiaste et artificieux, tantôt fanatique, tantôt fourbe, voulant à la fois établir une croisade contre le Turc, fonder les religieuses du Calvaire, faire des vers, négocier dans toutes les cours, et s’élever à la pourpre et au ministère. Cet homme, admis dans un de ces conseils secrets de conscience inventés pour faire le mal en conscience, remontra au roi qu’il pouvait et qu’il devait sans scrupule mettre sa mère hors d’état de s’opposer à son ministre. La cour était alors à Compiègne. Le roi en part, et y laisse sa mère entourée de