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CHAPITRE CLXXVI.

rapporter ici les suites, pour ne point rompre le fil de cette affaire, et pour faire voir ce que peut la vengeance armée du pouvoir suprême, et colorée des apparences de la justice.

Le cardinal ne se contenta pas de priver le maréchal du droit d’être jugé par les deux chambres du parlement assemblé, droit qu’on avait déjà violé tant de fois : ce ne fut pas assez de lui donner dans Verdun des commissaires dont il espérait de la sévérité ; ces premiers juges ayant, malgré les promesses et les menaces, conclu que l’accusé serait reçu à se justifier, le ministre fit casser l’arrêt : il lui donna d’autres juges, parmi lesquels on comptait les plus violents ennemis de Marillac, et surtout ce Paul Hay du Châtelet, connu par une satire atroce contre les deux frères. Jamais on n’avait méprisé davantage les formes de la justice et les bienséances. Le cardinal leur insulta au point de transférer l’accusé, et de continuer le procès à Ruel, dans sa propre maison de campagne.

Il est expressément défendu par les lois du royaume de détenir un prisonnier dans une maison particulière ; mais il n’y avait point de lois pour la vengeance et pour l’autorité. Celles de l’Église ne furent pas moins violées dans ce procès que celles de l’État et celles de la bienséance. Le nouveau garde des sceaux, Châteauneuf, qui venait de succéder au frère de l’accusé, présida au tribunal, où la décence devait l’empêcher de paraître ; et, quoiqu’il fût sous-diacre et revêtu de bénéfices, il instruisit un procès criminel : le cardinal lui fit venir une dispense de Rome, qui lui permettait de juger à mort. Ainsi un prêtre verse le sang avec le glaive de la justice, et il tient ce glaive en France de la main d’un autre prêtre qui demeure au fond de l’Italie.

Ce procès fait bien voir que la vie des infortunés dépend du désir de plaire aux hommes puissants. Il fallut rechercher toutes les actions du maréchal : on déterra quelques abus dans l’exercice de son commandement ; quelques anciens profits illicites et ordinaires, faits autrefois par lui ou par ses domestiques, dans la construction de la citadelle de Verdun : « Chose étrange ! disait-il à ses juges, qu’un homme de mon rang soit persécuté avec tant de rigueur et d’injustice ; il ne s’agit dans tout mon procès que de foin, de paille, de pierre, et de chaux. »

Cependant ce général, chargé de blessures et de quarante années de service, fut condamné à la mort (1632) sous le même roi qui avait donné des récompenses à trente sujets rebelles.

Pendant les premières instructions de ce procès étrange, le cardinal fait donner ordre à Beringhen de sortir du royaume ; il