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CHAPITRE CLXXVI.

examina les papiers du roi, lorsque le parlement s’en fut rendu maître, assure qu’il a vu la lettre signée Charles rex, par laquelle ce monarque ordonnait au chevalier Pennington, commandant de l’escadre, de suivre en tout les ordres du roi de France quand il serait devant la Rochelle, et de couler à fond les vaisseaux anglais dont les capitaines ne voudraient pas obéir. Si quelque chose pouvait justifier la cruauté avec laquelle les Anglais traitèrent depuis leur roi, ce serait une telle lettre.

Il n’est pas moins singulier que le cardinal ait seul commandé au siége, tandis que le roi était retourné à Paris. Il avait des patentes de général. Ce fut son coup d’essai : il montra que la résolution et le génie suppléent à tout ; aussi exact à mettre la discipline dans les troupes qu’appliqué dans Paris à établir l’ordre, et l’un et l’autre étant également difficiles. On ne pouvait réduire la Rochelle tant que son port serait ouvert aux flottes anglaises ; il fallait le fermer et dompter la mer. Pompe Targon, ingénieur italien, avait, dans la précédente guerre civile, imaginé de construire une estacade, dans le temps que Louis XIII voulait assiéger cette ville et que la paix fut conclue. Le cardinal de Richelieu suit cette vue : la mer renverse l’ouvrage ; il n’en est pas moins ferme à le faire recommencer. Il commanda une digue dans la mer d’environ quatre mille sept cents pieds de long ; les vents la détruisent. Il ne se rebuta pas, et ayant à la main son Quinte-Curce et la description de la digue d’Alexandre devant Tyr, il recommence encore la digue. Deux Français, Métézeau et Tiriot, mettent la digue en état de résister aux vents et aux vagues.

(Mars 1628) Louis XIII vient au siége, et y reste depuis le mois de mars 1628 jusqu’à sa reddition. Souvent présent aux attaques, et donnant l’exemple aux officiers, il presse le grand ouvrage de la digue, mais il est toujours à craindre que bientôt une nouvelle flotte anglaise ne vienne la renverser. La fortune seconde en tout cette entreprise. Le duc de Buckingham, s’étant encore brouillé avec Richelieu, était prêt enfin de partir et de conduire une flotte redoutable devant la Rochelle, (septembre 1628) lorsqu’un Anglais fanatique, nommé Felton, l’assassina d’un coup de couteau, sans que jamais on ait pu découvrir ses instigateurs.

Cependant la Rochelle, sans secours, sans vivres, tenait par son seul courage. La mère et la sœur du duc de Rohan, soutirant comme les autres la plus dure disette, encourageaient les citoyens. Des malheureux prêts à expirer de faim déploraient leur état devant le maire Guiton, qui répondait : « Quand il ne restera plus qu’un seul homme, il faudra qu’il ferme les portes. »