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DU JAPON AU XVIIe SIÈCLE.

au nombre de plus de trente mille. Ils furent battus en 1638, et se retirèrent dans une forteresse sur le bord de la mer, dans le voisinage du port de Nangazaki.

Cependant toutes les nations étrangères étaient alors chassées du Japon ; les Chinois mêmes étaient compris dans cette loi générale, parce que quelques missionnaires d’Europe s’étaient vantés au Japon d’être sur le point de convertir la Chine au christianisme. Les Hollandais eux-mêmes, qui avaient découvert la conspiration, étaient chassés comme les autres : on avait déjà démoli le comptoir qu’ils avaient à Firando ; leurs vaisseaux étaient déjà partis : il en restait un, que le gouvernement somma de tirer son canon contre la forteresse où les chrétiens étaient réfugiés. Le capitaine hollandais Kokbeker rendit ce funeste service : les chrétiens furent bientôt forcés, et périrent dans d’affreux supplices. Encore une fois, quand on se représente un capitaine portugais, nommé Moro, et un capitaine hollandais, nommé Kokbeker, suscitant dans le Japon de si étranges événements, on reste convaincu de l’esprit remuant des Européans, et de cette fatalité qui dispose des nations.

Le service odieux qu’avaient rendu les Hollandais au Japon ne leur attira pas la grâce qu’ils espéraient d’y commercer et de s’y établir librement ; mais ils obtinrent la permission d’aborder dans une petite île nommée Désima, près du port de Nangazaki : c’est là qu’il leur est permis d’apporter une quantité déterminée de marchandises.

Il fallut d’abord marcher sur la croix[1], renoncer à toutes les marques du christianisme, et jurer qu’ils n’étaient pas de la religion des Portugais, pour obtenir d’être reçus dans cette petite île, qui leur sert de prison : dès qu’ils y arrivent on s’empare de leurs vaisseaux et de leurs marchandises, auxquelles on met le prix. Ils viennent chaque année subir cette prison pour gagner de l’argent : ceux qui sont rois à Batavia et dans les Moluques se laissent ainsi traiter en esclaves : on les conduit, il est vrai, de la petite île où ils sont retenus jusqu’à la cour de l’empereur ; et ils sont partout reçus avec civilité et avec honneur, mais gardés à vue et observés ; leurs conducteurs et leurs gardes font un serment par écrit, signé de leur sang, qu’ils observeront toutes les démarches des Hollandais, et qu’ils en rendront un compte fidèle.

  1. Voyez une note du chapitre premier des Fragments sur l’Inde, dans les Mélanges, année 1773.