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CHAPITRE CLXXVI.

uniquement parce qu’on lui refusa la permission d’y venir parler de son amour. Une telle aventure semblait être du temps des Amadis. Les affaires du monde sont tellement mêlées, sont tellement enchaînées, que les amours romanesques du duc de Buckingham produisirent une guerre de religion et la prise de la Rochelle (1627).

Un chef de parti profite de toutes les circonstances. Le duc de Rohan, aussi profond dans ses desseins que Buckingham était vain dans les siens, obtient du dépit de l’Anglais l’armement d’une flotte de cent vaisseaux de transport. La Rochelle et tout le parti étaient tranquilles ; il les anime, et engage les Rochellois à recevoir la flotte anglaise, non pas dans la ville même, mais dans l’île de Ré. Le duc de Buckingham descend dans l’île avec environ sept mille hommes. Il n’y avait qu’un petit fort à prendre pour se rendre maître de l’île, et pour séparer à jamais la Rochelle de la France. Le parti calviniste devenait alors indomptable. Le royaume était divisé, et tous les projets du cardinal de Richelieu auraient été évanouis si le duc de Buckingham avait été aussi grand homme de guerre, ou du moins aussi heureux qu’il était audacieux.

(Juillet 1627) Le marquis, depuis maréchal de Thoiras, sauva la gloire de la France en conservant l’île de Ré, avec peu de troupes, contre les Anglais très-supérieurs. Louis XIII a le temps d’envoyer une armée devant la Rochelle. Son frère Gaston la commande d’abord. Le roi y vient bientôt avec le cardinal. Buckingham est forcé de ramener en Angleterre ses troupes diminuées de moitié, sans même avoir jeté du secours dans la Rochelle, et n’ayant paru que pour en hâter la ruine. Le duc de Rohan était absent de cette ville, qu’il avait armée et exposée. Il soutenait la guerre dans le Languedoc contre le prince de Condé et le duc de Montmorency.

Tous trois combattaient pour eux-mêmes : le duc de Rohan, pour être toujours chef de parti ; le prince de Condé, à la tête des troupes royales, pour regagner à la cour son crédit perdu ; le duc de Montmorency, à la tête des troupes levées par lui-même et de sa seule autorité, pour devenir le maître dans le Languedoc, dont il était gouverneur, et pour rendre sa fortune indépendante, à l’exemple de Lesdiguières. La Rochelle n’a donc qu’elle seule pour se soutenir. Les citoyens, animés par la religion et par la liberté, ces deux puissants motifs des peuples, élurent un maire nommé Guiton, encore plus déterminé qu’eux. Celui-ci, avant d’accepter une place qui lui donnait la magistra-