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DE LA CHINE AU XVIIe SIÈCLE.

C’est ici qu’on voit bien ce que c’est que l’orgueil asiatique, et combien il s’accorde avec la mollesse. L’empereur ordonna qu’on coupât la tête aux deux eunuques, pour lui avoir apporté une lettre dans laquelle on lui manquait de respect. On eut beaucoup de peine à lui faire entendre que les têtes des princes du sang, et d’une foule de mandarins que Li-tsé-tching avait entre ses mains, répondraient de celles de ses deux eunuques.

Pendant que l’empereur délibérait sur la réponse, Li-tsé-tching était déjà entré dans Pékin. L’impératrice eut le temps de faire sauver quelques-uns de ses enfants mâles ; après quoi elle s’enferma dans sa chambre, et se pendit. L’empereur y accourut ; et, ayant fort approuvé cet exemple de fidélité, il exhorta quarante autres femmes qu’il avait à l’imiter. Le P. de Mailla, jésuite, qui a écrit cette histoire dans Pékin même, au siècle passé, prétend que toutes ces femmes obéirent sans réplique ; mais il se peut qu’il y en eût quelques-unes qu’il fallut aider. L’empereur, qu’il nous dépeint comme un très-bon prince, aperçut, après cette exécution, sa fille unique, âgée de quinze ans, que l’impératrice n’avait pas jugé à propos d’exposer à sortir du palais ; il l’exhorta à se pendre comme sa mère et ses belles-mères ; mais la princesse n’en voulant rien faire, ce bon prince, ainsi que le dit Mailla, lui donna un grand coup de sabre, et la laissa pour morte. On s’attend qu’un tel père, un tel époux se tuera sur le corps de ses femmes et de sa fille ; mais il alla dans un pavillon hors de la ville pour attendre des nouvelles ; et enfin, ayant appris que tout était désespéré, et que Li-tsé-tching était dans son palais, il s’étrangla, et mit fin à un empire et à une vie qu’il n’avait pas osé défendre. Cet étrange événement arriva l’année 1641. C’est sous ce dernier empereur de la race chinoise que les jésuites avaient enfin pénétré dans la cour de Pékin. Le P. Adam Schall, natif de Cologne, avait tellement réussi auprès de cet empereur par ses connaissances en physique et en mathématiques, qu’il était devenu mandarin. C’était lui qui, le premier, avait fondu du canon de bronze à la Chine ; mais le peu qu’il y en avait à Pékin, et qu’on ne savait pas employer, ne sauva pas l’empire. Le mandarin Schall quitta Pékin avant la révolution.

Après la mort de l’empereur, les Tartares et les rebelles se disputèrent la Chine. Les Tartares étaient unis et aguerris ; les Chinois étaient divisés et indisciplinés. Il fallut petit à petit céder tout aux Tartares. Leur nation avait pris un caractère de supériorité qui ne dépendait pas de la conduite de leur chef. Il en était