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DU MINISTÈRE DU CARDINAL DE RICHELIEU.

Buckingham, dans le temps même que l’Angleterre lui fournissait des vaisseaux contre la Rochelle, et il se liguait avec le comte-duc Olivarès, lorsqu’il venait d’enlever la Valteline au roi d’Espagne.

De ces trois ministres, le duc de Buckingham passait pour être le moins ministre ; il brillait comme un favori et un grand seigneur, libre, franc, audacieux, non comme un homme d’État ; ne gouvernant pas le roi Charles Ier par l’intrigue, mais par l’ascendant qu’il avait eu sur le père, et qu’il avait conservé sur le fils. C’était l’homme le plus beau de son temps, le plus fier, et le plus généreux. Il pensait que ni les femmes ne devaient résister aux charmes de sa figure, ni les hommes à la supériorité de son caractère. Enivré de ce double amour-propre, il avait conduit le roi Charles, encore prince de Galles, en Espagne pour lui faire épouser une infante, et pour briller dans cette cour. C’est là que, joignant la galanterie espagnole à l’audace de ses entreprises, il attaqua la femme du premier ministre Olivarès, et fit manquer, par cette indiscrétion, le mariage du prince. Étant depuis venu en France, en 1625, pour conduire la princesse Henriette qu’il avait obtenue pour Charles Ier, il fut encore sur le point de faire échouer l’affaire par une indiscrétion plus hardie. Cet Anglais fit à la reine Anne d’Autriche une déclaration, et ne se cacha pas de l’aimer, ne pouvant espérer dans cette aventure que le vain honneur d’avoir osé s’expliquer. La reine, élevée dans les idées d’une galanterie permise alors en Espagne, ne regarda les témérités du duc de Buckingham que comme un hommage à sa beauté, qui ne pouvait offenser sa vertu[1].

L’éclat du duc de Buckingham déplut à la cour de France, sans lui donner de ridicule, parce que l’audace et la grandeur n’en sont pas susceptibles. Il mena Henriette à Londres, et y rapporta dans son cœur sa passion pour la reine, augmentée par la vanité de l’avoir déclarée. Cette même vanité le porta à tenter un second voyage à la cour de France : le prétexte était de faire un traité contre le duc Olivarès, comme le cardinal en avait fait un avec Olivarès contre lui. La véritable raison qu’il laissait assez voir était de se rapprocher de la reine : non seulement on lui en refusa la permission, mais le roi chassa d’auprès de sa femme plusieurs domestiques accusés d’avoir favorisé la témérité du duc de Buckingham. Cet Anglais fit déclarer la guerre à la France,

  1. Voyez la première partie des Mémoires de La Rochefoucauld, publiée pour la première fois par M. Renouard, 1817, in-12 et in-18.