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CHAPITRE CXCII.

professeurs, les écoliers, montèrent la garde, et ils eurent un médecin pour major. La retraite de l’empereur Léopold augmentait encore la terreur. Il avait quitté Vienne dès le septième juillet, avec l’impératrice sa belle-mère, l’impératrice sa femme, et toute sa famille. Vienne, mal fortifiée, ne devait pas tenir longtemps. Les annales turques prétendent que Kara Mustapha avait dessein de se former, dans Vienne et dans la Hongrie, un empire indépendant du sultan. Il s’était figuré que la résidence des empereurs d’Allemagne devait contenir des trésors immenses. En effet, de Constantinople jusqu’aux bornes de l’Asie, c’est l’usage que les souverains aient toujours un trésor qui fait leur ressource en temps de guerre. On ne connaît chez eux ni les levées extraordinaires dont les traitants avancent l’argent, ni les créations et les ventes de charges, ni les rentes foncières et viagères sur l’État ; le fantôme du crédit public, les artifices d’une banque au nom d’un souverain, sont ignorés : les potentats ne savent qu’accumuler l’or, l’argent, et les pierreries ; c’est ainsi qu’on en use depuis le temps de Cyrus. Le vizir pensait qu’il en était de même chez l’empereur d’Allemagne, et, dans cette idée, il ne poussa pas le siége assez vivement, de peur que, la ville étant prise d’assaut, le pillage ne le privât de ses trésors imaginaires. Il ne fit jamais donner d’assaut général, quoiqu’il y eût de très-grandes brèches au corps de la place, et que la ville fût sans ressources. Cet aveuglement du grand-vizir, son luxe, et sa mollesse, sauvèrent Vienne qui devait périr. Il laissa au roi de Pologne Jean Sobieski le temps de venir au secours ; au duc de Lorraine Charles V, et aux princes de l’empire, celui d’assembler une armée. Les janissaires murmuraient ; le découragement succéda à leur indignation ; ils s’écriaient : « Venez, infidèles ; la seule vue de vos chapeaux nous fera fuir. »

En effet, dès que le roi de Pologne et le duc de Lorraine descendirent de la montagne de Calemberg, les Turcs prirent la fuite presque sans combattre. Kara Mustapha, qui avait compté trouver tant de trésors dans Vienne, laissa tous les siens au pouvoir de Sobieski, et bientôt après il fut étranglé (12 septembre 1683). Tékéli, que ce vizir avait fait roi, soupçonné bientôt après par la Porte ottomane de négocier avec l’empereur d’Allemagne, fut arrêté par le nouveau vizir, et envoyé, les fers aux pieds et aux mains, à Constantinople (1685). Les Turcs perdirent presque toute la Hongrie.

(1687) Le règne de Mahomet IV ne fut plus fameux que par des disgrâces. Morosini prit tout le Péloponèse, qui valait mieux