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DE L’EMPIRE OTTOMAN AU XVIIe SIÈCLE.

alors s’écrièrent qu’il n’était pas au pouvoir des hommes de le faire mourir.

Sa réputation s’étant étendue dans tous les pays de l’Europe, il reçut aux Dardanelles les députations des Juifs de Pologne, d’Allemagne, de Livourne, de Venise, d’Amsterdam ; ils payaient chèrement la permission de lui baiser les pieds, et c’est probablement ce qui lui conserva la vie. Les partages de la Terre Sainte se faisaient tranquillement dans le château des Dardanelles. Enfin le bruit de ses miracles fut si grand que le sultan Mahomet eut la curiosité de voir cet homme, et de l’interroger lui-même. On amena le roi des Juifs au sérail. Le sultan lui demanda en turc s’il était le messie. Sabatei répondit modestement qu’il l’était ; mais comme il s’exprimait incorrectement en turc : « Tu parles bien mal, lui dit Mahomet, pour un messie qui devrait avoir le don des langues. Fais-tu des miracles ? — Quelquefois, répondit l’autre. — Eh bien, dit le sultan, qu’on le dépouille tout nu ; il servira de but aux flèches de mes icoglans ; et s’il est invulnérable, nous le reconnaîtrons pour le messie. » Sabatei se jeta à genoux, et avoua que c’était un miracle qui était au-dessus de ses forces. On lui proposa alors d’être empalé ou de se faire musulman, et d’aller publiquement à la mosquée. Il ne balança pas, et il embrassa la religion turque dans le moment. Il prêcha alors qu’il n’avait été envoyé que pour substituer la religion turque à la juive, selon les anciennes prophéties. Cependant les Juifs des pays éloignés crurent encore longtemps en lui ; et cette scène, qui ne fut point sanglante, augmenta partout leur confusion et leur opprobre.

Quelque temps après que les Juifs eurent essuyé cette honte dans l’empire ottoman, les chrétiens de l’Église latine eurent une autre mortification. Ils avaient toujours jusqu’alors conservé la garde du Saint-Sépulcre à Jérusalem, avec les secours d’argent que fournissaient plusieurs princes de leur communion, et surtout le roi d’Espagne ; mais ce même Payanotos, qui avait conclu le traité de la reddition de Candie, obtint du grand-vizir Achmet Cuprogli (1674) que l’Église grecque aurait désormais la garde de tous les lieux saints de Jérusalem. Les religieux du rite latin formèrent une opposition juridique. L’affaire fut plaidée d’abord devant le cadi de Jérusalem, et ensuite au grand divan de Constantinople. On décida que l’Église grecque ayant compté Jérusalem dans son district avant le temps des croisades, sa prétention était juste. Cette peine que prenaient les Turcs d’examiner les droits de leurs sujets chrétiens, cette permission qu’ils leur donnaient d’exercer leur religion dans le lieu même qui en fut le